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Irak : Entre la menace des tanks et les rapines des trusts
Le 2 mai, d'une tribune installée sur le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln et sous les vivats de l'équipage assemblé, Bush a annoncé solennellement la "libération de l'Irak" devant toutes les télévisions américaines rassemblées pour l'occasion. Tous les commentateurs se sont accordés à voir dans cette mise en scène bien huilée le coup d'envoi de la campagne du candidat Bush pour l'élection présidentielle de 2004. Mais aucun d'entre eux n'a trouvé à redire au fait que Bush cherche ainsi à faire des voix avec le sang des autres. D'ailleurs, n'est-ce pas là ce qu'il fait depuis les attentats du 11 septembre 2001?
Le prix de la "libération"
Pendant ce temps, dans cet Irak que Bush se vante d'avoir "libéré", l'état de guerre n'a pas pris fin pour tout le monde, en tout cas pas pour la population qui non seulement se voit imposer un couvre-feu et la présence permanente de troupes menaçantes, mais qui en plus voit la liste de ses morts s'allonger.
Sans doute les missiles occidentaux ne s'abattent-ils plus sur les villes. Mais ce sont leurs débris non explosés, transformés de fait en mines anti-personnel, qui continuent à faire des victimes, parmi les enfants en particulier, quand ce ne sont pas les troupes d'occupation elles-mêmes, en faisant exploser des dépôts de munitions sans égard pour les quartiers d'habitation voisins, voire en tirant dans le tas, comme elles l'ont fait lors de manifestations antiaméricaines à Mossoul, Falluja ou Bagdad.
Mais surtout, les destructions de la guerre menacent les villes irakiennes d'une catastrophe sanitaire. Quatre semaines après la chute de Bagdad, l'électricité et l'eau courante n'y ont toujours pas été rétablies, en tout cas pas dans les grands quartiers populaires où vit l'essentiel de la population de la capitale. A Bagdad, comme à Nassiriya ou à Najaf, la population en est réduite à casser les canalisations pour récupérer l'eau croupie qui y reste, tandis que des égouts éventrés par les bombardements continuent à répandre leur contenu dans la nappe phréatique. A Bassora, ceux qui n'ont pas les moyens de se payer les bouteilles d'eau minérale qui commencent à arriver du Koweit (à 2,40 dollars les 75 cl, elles valent l'équivalent d'une semaine de salaire pour un manoeuvre du bâtiment ou de trois jours de salaire pour un enseignant) vont se ravitailler dans les eaux boueuses du Chatt el-Arab, la voie d'eau qui traverse la ville.
La situation sanitaire est si grave que les médecins de Bagdad ont averti de la multiplication de maladies liées à la contamination des eaux et du risque de voir se développer une épidémie de choléra. D'autant qu'en plus des conditions sanitaires qui se dégradent de jour en jour, ils ne disposent d'aucun stock de médicaments depuis les pillages de la fin avril. Et on peut imaginer ce qu'il peut en être dans le reste du pays où les infrastructures sanitaires et hospitalières sont bien plus limitées encore.
Et pourtant, même après les destructions de la guerre, le développement d'une telle situation n'avait rien d'inévitable. Il n'aurait pas été bien difficile, par exemple, aux B-52 stationnés en Grande-Bretagne qui, il y a quelques semaines encore, allaient chaque jour lancer leurs "super-bombes" sur l'Irak, de troquer leur charge meurtrière habituelle contre des tonnes de médicaments vitaux pour quelques voyages de plus. De même, les gigantesques porte-avions anglo-américains qui croisent dans les eaux du Golfe sont autant de véritables usines flottantes dotées de tout l'équipement et de la main-d'oeuvre spécialisée qu'il faudrait pour la remise en service des centrales électriques et des usines de pompage et de retraitement des eaux endommagées par les bombardements. Mais à Bassora, il a fallu que ce soit la Croix Rouge qui prenne sur elle d'entreprendre la réparation d'une centrale thermique en faisant venir des techniciens d'Europe. Et les forces d'occupation britanniques n'ont même pas autorisé ceux-ci à apporter le moindre équipement!
Pendant ce temps, en revanche, les unités du génie de l'armée britannique font des heures supplémentaires pour remettre en état les installations de pompage de pétrole et de raffinage proches du port d'Oum Qasr!
La mise en place de l'occupation
Il faut dire que, de ce côté-là, les dirigeants occidentaux ne perdent guère de temps. Les nominations aux organismes chargés de la "reconstruction" de l'Irak continuent de souligner de quoi il s'agit réellement -c'est-à-dire d'offrir aux trusts, américains en l'occurrence, l'occasion de profits considérables.
C'est ainsi, par exemple, qu'à côté du représentant de l'industrie de l'armement américaine qu'est Jay Garner, le proconsul de Bush, l'agriculture sera confiée à un certain Dan Amstutz. Or cet Amstutz n'est rien moins qu'un ancien dirigeant du géant de l'agro-alimentaire Cargill, champion de la prolifération forcée des OGM dans le Tiers-Monde et de la ruine d'une partie de la paysannerie dans des pays pauvres comme l'Inde, mais surtout premier exportateur de céréales américaines. Autant dire qu'Amstutz a toutes les chances d'être plus préoccupé de déverser sur l'Irak une part du surplus américain que d'y développer une agriculture locale correspondant aux besoins de la population.
Le pétrole, comme on pouvait s'y attendre, recevra un traitement spécial. L'ancienne organisation nationale de commercialisation du pétrole irakien sera remise en activité telle que et la plupart de ses cadres existants y conserveront leur place. En revanche, elle sera placée sous la tutelle d'une commission présidée par un certain Philip Carroll, un ancien PDG de la filiale américaine du trust Shell. Evidemment, qui pourrait être mieux placé que ce Carroll pour savoir comment utiliser les ressources pétrolières considérables de l'Irak au mieux des intérêts des trusts anglo-américains?
Cela dit, les dirigeants américains savent bien après l'expérience des dernières semaines, que la mise en coupe réglée du pays ne se fera pas sans résistance. Et ils ne prennent pas de risque. A Bagdad comme à Mossoul dans le nord, des milliers de soldats sont venus renforcer les forces d'occupation en place. A Bassora, les autorités britanniques s'efforcent de recréer un semblant de légalité en s'appuyant sur les chefs de clans. Pour cela, le gouvernement anglais envisage de sortir de ses tiroirs le système juridique colonial qu'il avait mis en place en 1919 et qui resta en vigueur jusqu'en 1958 - un système qui, justement, donnait aux chefs de clans des droits exorbitants sur les pauvres.
Que les dirigeants anglo-américains se préparent à une occupation militaire à long terme, sinon du pays, en tout cas des régions pétrolières et des grandes villes, a été illustré par les efforts déployés par la diplomatie américaine pour recruter des alliés prêts à fournir des troupes à une telle occupation. Pour l'instant, mais les choses peuvent encore changer sur ce plan-là, Bush a même réussi à convaincre le gouvernement polonais d'assumer la responsabilité militaire du nord de l'Irak (et donc de la poudrière kurde) sous réserve que les États-Unis financent le déploiement des troupes polonaises.
Voilà donc le véritable contenu de la "liberté" que l'impérialiste Bush a à offrir à la population irakienne: d'un côté les tanks des troupes d'occupation, prêtes à intervenir à tout moment contre la population, de l'autre les rapines des trusts qui comptent bien faire suer le maximum de profits à ce pays déjà exsangue!