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Leur société
Une décentralisation dont la population va faire les frais
En se déplaçant le 28 février à Rouen, Raffarin a voulu redonner un peu d'éclat à son projet sur la décentralisation. Il faut dire que les 26 grands messes organisées à travers le pays, une par région, n'ont passionné que la caste des élus. En réalité, il n'y avait là que la continuation, repeinte au goût du jour, de la vieille politique menée par l'État depuis vingt ans, qui consiste à baisser de façon continue sa part dans le financement des services publics.
D'ailleurs la continuité, ce sont les services du premier ministre, Raffarin, qui la revendiquent maintenant ouvertement . "On s'appuiera sur le rapport Mauroy", déclarent-ils, en évoquant le rapport mis au point en 2000, à la demande de Jospin, par l'ancien premier ministre socialiste de Mitterrand. Ce rapport préconisait un nouveau transfert massif de la charge de services publics de l'État vers les régions et départements, dont, en passant, ceux d'une partie de l'Education nationale. Raffarin lui-même en a rajouté une couche sur ce sujet en déclarant dans la presse le jour de son voyage: "Il y a une filiation évidente entre notre projet et celui de messieurs Mauroy et Defferre en 1982".
D'ailleurs le gouvernement est tellement dans cette continuité que "les grands transferts de compétences" qu'il a évoqués le 28 février sont déjà en grande partie réalisés. Que ce soit le transfert des routes nationales, du RMI et des services sociaux, pour les départements, comme la formation professionnelle, l'aide aux entreprises et ce qu'ils appellent l'aménagement du territoire, pour les régions.
Mais justement Raffarin et ses ministres mentent effrontément quand ils prétendent que le but de tout cela est de "rapprocher les centres de décision des citoyens", et que "chaque transfert sera totalement compensé" par l'État. Le passé parle pour l'avenir. Les gouvernements de droite, comme ceux de gauche, ne se sont servis de la décentralisation que pour baisser de façon considérable le financement de l'État dans l'éducation, l'entretien des routes, les transports publics ou la prise en charge des personnes dépendantes. Ce fut un des moyens de récupérer des dizaines de milliards sur le budget de l'État pour les distribuer ensuite sous forme d'aides ou de baisses de cotisations au grand patronat.
Depuis la loi de Redressement des finances publiques de 1994, l'État revendique le droit de ne pas compenser totalement aux collectivités locales les transferts de charges. C'est ce principe qui a été appliqué une nouvelle fois dans la loi de finances, il y a encore quelques mois, à l'occasion du budget 2003 présenté par ce gouvernement. D'ailleurs ce gouvernement n'a pas remis en cause, ni même critiqué, le transfert non-compensé totalement de la charge des transports ferrés régionaux aux régions, qui va plomber leur budget de milliards d'euros. Quant au transfert aux départements de la charge de l'allocation dépendance des adultes, l'APA, le gouvernement vient de décider de transférer une part importante de la charge financière...aux familles ayant des revenus modestes.
Et c'est ce gouvernement qui ose, sans rire, affirmer que ces transferts des services assurés par l'État, qu'il va multiplier, seront sans conséquences négatives pour les populations et sans conséquences financières. A propos des finances locales, rappelons que l'exonération de la part salariale sur la Taxe Professionnelle, première source de rentrée financière pour les collectivités locales, décidée par le gouvernement Jospin, va prendre tous ses effets à la fin 2003. Si cela va permettre au patronat de récupérer entre 60 et 100 milliards de francs d'allégements fiscaux par an, cela va priver les collectivités locales de milliards de rentrées, car ces allégements n'ont pas été totalement compensés et ne le seront pas à l'avenir.
Alors cette aggravation de la décentralisation ne reçoit l'appui ouvert ou tacite de la majorité des notables locaux que parce que cela va leur ouvrir l'accès à des fromages supplémentaires et leur permettre des liens privilégiés avec les profiteurs, grands et moins grands. C'est cela qui a d'ailleurs alimenté dans le passé l'explosion des affaires de corruption et de trucage des marchés publics à travers tout le pays. Et c'est aussi en partie pour cela qu'en toute démocratie, pour permettre de faire les affaires à venir dans la tranquillité maximum, à l'abri des regards indiscrets, ce gouvernement a décidé de changer la loi électorale dans le but de réserver l'accession aux conseils régionaux aux seuls élus adoubés par les deux grands partis "responsables", l'UMP et le PS.