Irak : La marche à la guerre06/03/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/03/une1805.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : La marche à la guerre

Malgré l'hostilité de l'opinion publique des grandes puissances et les manifestations qui se multiplient dans le monde arabe, et malgré les déconvenues, toutes relatives il est vrai, de la diplomatie américaine en Turquie et ailleurs, l'étau se resserre de plus en plus autour de l'Irak. En tout cas, tout se passe comme si, pour les dirigeants américains et britanniques, le sort de l'Irak était désormais scellé.

Plus Bagdad se conforme aux diktats de l'ONU et plus les dirigeants de Washington et de Londres réaffirment leur détermination guerrière. Ainsi l'Irak aura eu beau consentir à détruire les quelques missiles balistiques dont elle disposait, au prétexte dérisoire que leur portée excédait d'une trentaine de kilomètres le maximum décrété par l'ONU, ce geste ne lui aura valu que de nouvelles accusations de "duplicité".

Aujourd'hui la rhétorique sur les "armes de destruction massive" de Saddam Hussein n'est de toute façon plus guère qu'une incantation rituelle. Le véritable moteur de l'escalade guerrière contre l'Irak apparaît désormais sous sa forme la plus crue, résumée dans cette formule que Bush ne cesse de marteler depuis des mois: "Nous nous imposerons."

Du coup la valse des arguties diplomatiques fait figure de farce macabre, qu'il s'agisse de la deuxième résolution que Bush va présenter au Conseil de sécurité dans l'espoir d'obtenir l'aval de l'ONU pour l'agression odieuse qu'il prépare, et pour laquelle les envoyés de Bush cherchent à acheter à coups de millions de dollars les voix des pays pauvres siégeant au Conseil; ou qu'il s'agisse de la motion Chirac, qui ne fait que repousser l'échéance de quatre mois tout en justifiant sans réserve le déploiement militaire américain contre l'Irak.

Car, de Bush à Chirac en passant par Blair et Schröder, qu'ils se disent pour ou contre une agression immédiate, les leaders impérialistes souscrivent tous sans réserve à la formule de Bush: l'impérialisme, c'est-à-dire le pouvoir sans partage de ses trusts, doit s'imposer, même si c'est avec le sang des peuples.

En fait, si la farce onusienne sert à quelque chose aujourd'hui, c'est tout au plus à renforcer l'illusion dans l'opinion publique occidentale d'un "débat démocratique" dans ce repère de l'impérialisme qu'est l'ONU, et du même coup l'idée que ce n'est pas la guerre elle-même qu'il faudrait condamner mais seulement le fait qu'elle puisse être déclarée en dehors de son cadre. En tout cas, il est peu vraisemblable que ce soit l'ONU qui retarde aujourd'hui l'agression américaine contre le peuple irakien.

D'ailleurs, pendant que se poursuit la valse diplomatique et que s'échangent les arguments pour ou contre une offensive contre l'Irak, la guerre, qui ne s'est jamais arrêtée, se poursuit sur le terrain. Le 3 mars, le Pentagone a annoncé la destruction de cinq "objectifs militaires" dans la zone d'exclusion aérienne qui recouvre la moitié sud du pays. Bagdad, de son côté, a fait état de six morts civils dans la région de Bassorah. En fait ces bombardements n'ont jamais cessé. Depuis le début de l'année, aux dires du Pentagone, plus de 50 sorties auraient eu lieu visant chaque fois un ou plusieurs objectifs. Depuis des mois la notion d'objectif est devenue des plus élastiques-incluant non seulement des installations de défense antiaérienne, comme au cours de la période précédente, mais aussi des installations de communications, des postes de commandement et des stations de ravitaillement. Autant dire que ces bombardements ont tous les attributs d'une préparation aérienne systématique en vue d'une invasion.

D'ailleurs, ce qui se discute aux États-Unis, dans la classe politique comme dans la presse, ce n'est pas tant l'opportunité d'une invasion que la façon de la conduire et la politique à mener par la suite-comment réaliser le "changement de régime". D'ores et déjà Bush a nommé un envoyé spécial pour l'Irak et ce choix est en lui-même tout un programme. Il s'agit de Zalmay Khalilzad, spécialiste militaire et ancien consultant du trust pétrolier Unocal, qui, déjà en tant qu'envoyé spécial de Bush, avait présidé à la mise en place du régime actuel en Afghanistan. Mais il n'est plus possible de se contenter d'acheter la neutralité de chefs de guerre, comme en Afghanistan. Et c'est une véritable occupation militaire du pays qui est envisagée, sur plusieurs années, afin de sélectionner et d'installer les cadres d'un nouveau régime.

Des intellectuels américains de la fondation Carnegie ont récemment publié une étude sur les "changements de régime" ainsi réalisés par la force par l'impérialisme américain au cours du siècle écoulé. Ils en ont recensé 18 et sur ce nombre, cinq seulement ont donné naissance à des régimes qu'ils ont considéré pouvoir qualifier de démocratiques-l'Allemagne, le Japon, l'Italie, Grenade et Panama. Dans les 13 autres cas, ce sont des dictatures que les troupes américaines ont mises en place.

C'est à cette aune qu'il faut juger les "intentions démocratiques" qu'arbore Bush aujourd'hui à l'égard de l'Irak. Et il y a toute raison de craindre qu'en plus du bain de sang probable résultant d'une invasion, et peut-être d'affrontements sanglants par la suite si l'occupation américaine suscite des mouvements de résistance dans la population, le régime dont héritera la population irakienne au terme d'une guerre et de bombardements meurtriers, sera une fois de plus une dictature, taillée aux mesures des diktats de l'impérialisme peut-être, mais une dictature quand même, et pas forcément moins dure que celle de Saddam Hussein.

Partager