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Grande-Bretagne : La "rébellion" parlementaire
Après la mobilisation sans précédent du 15 février dans les rues de Londres contre la menace de guerre en Irak, c'est à une "rébellion" parlementaire que Blair a dû faire face, le 26 février, lors d'un débat à la Chambre des communes sur sa politique irakienne. À cette occasion, une motion affirmant que la "nécessité d'une guerre reste à démontrer", bien que repoussée, a recueilli 199 voix, dont près d'un quart des élus du parti de Blair (122 voix).
Cette "rébellion" des députés travaillistes reste, il est vrai, des plus respectueuses. Son chef de file, l'ancien ministre des Affaires culturelles Chris Smith, répète qu'il ne verrait aucune objection à une guerre organisée sous l'égide de l'ONU. Et d'ailleurs sur les 122 "rebelles", 63 ont voté pour la motion présentée par Blair, qui soutenait "la résolution 1441 du Conseil de sécurité et les efforts de l'ONU visant à priver l'Irak de ses armes de destruction massive". Autant dire que la distance qui sépare Blair d'une bonne partie de ces "rebelles" n'est pas bien grande.
Pour Blair, une telle opposition dans les rangs de son propre parti fait bien sûr mauvais effet à un moment où l'opinion reste en majorité hostile à la guerre. Mais elle ne le gêne pas tant que ça. D'abord parce que, grâce aux députés conservateurs, Blair garde une très forte majorité au Parlement, auquel il n'a d'ailleurs nul devoir de rendre des comptes sur les engagements militaires qu'il prend puisque, dans ce domaine, il dispose de la délégation de pouvoir de la reine, chef suprême des armées. Ensuite parce que cette "rébellion" peut contribuer à déplacer le centre de gravité de l'opposition à la guerre de la rue vers les institutions parlementaires-et cela d'autant plus que la plupart des députés "rebelles" se méfient autant de la rue que Blair lui-même.
En tout cas, Blair n'a montré aucun signe de faiblesse face à ces revers. Au contraire, c'est avec une arrogance calculée qu'il a affronté les caméras de télévision à l'occasion d'une série d'émissions spéciales, au cours desquelles il a tenu à affirmer qu'il ne craignait pas de mettre en jeu sa carrière politique en allant contre la majorité de l'opinion publique parce que, a-t-il dit sentencieusement, "il faut faire ce qui est juste".
Néanmoins, Blair à jugé nécessaire de changer de tactique dans sa rhétorique. Puisque l'épouvantail des "armes de destruction massive" ne prend pas, il cherche à jouer sur les illusions de l'opinion. C'est ainsi qu'il s'est mis à marteler l'idée suivant laquelle renoncer à la guerre serait laisser bafouer l'autorité de l'ONU et signer son arrêt de mort, tout comme la politique d'apaisement de la Société des Nations face à Hitler lors des accords de Munich, avait causé sa perte et ouvert la voie à la Deuxième Guerre mondiale. Qu'importe si ce parallèle aussi démagogique que stupide revient à mettre un trait d'égalité entre, d'un côté un pays pauvre, épuisé par deux guerres et treize années de sanctions, et de l'autre la deuxième puissance impérialiste de son époque! Seul compte le contenu émotionnel du message.
Néanmoins, malgré tous les efforts de Blair, l'opposition à la guerre reste solide dans la population britannique. On assiste dans tout le pays et jusque dans les localités les plus obscures à un foisonnement d'initiatives -boycotts, vigiles, manifestations, réunion-débats, invasions de bases militaires, etc.- destinées à marquer cette opposition. Ces initiatives, aussi chaotiques que symboliques, portent bien sûr l'empreinte des limites du mouvement d'opinion qui les inspire, des influences religieuses diverses aux illusions à l'égard de l'ONU en passant par l'antiaméricanisme primaire et la non-violence. Néanmoins elles témoignent aussi de l'ampleur et du dynamisme de cette opposition. Et ce qui est certain c'est que, quoi qu'il puisse dire, Blair ne pourra pas prétendre qu'il a lancé ses missiles sur le peuple irakien avec l'assentiment de la population britannique.