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5 mars 1953 : La mort de Staline
Le cinquantième anniversaire de la mort de Staline a été une nouvelle fois le prétexte, pour beaucoup, pour enterrer le communisme. Et ceux qui furent, il y a cinquante ans, parmi les adulateurs du dictateur n'ont pas été les moins zélés dans cette mise en bière. Certains d'entre eux en ont même fait leur spécialité, pour ne pas dire leur fonds de commerce, jouant le rôle de ces consultants, prisés par les chaînes de télé, quand il faut commenter soit une intervention militaire, soit des matchs. Comme si le fait d'avoir été stalinien, de stricte obédience, ou dans ses variantes maoïste, albanaise ou autre, valait brevet de compétence; comme si le fait de s'être aplati devant le conformisme régnant à l'époque donnait une priorité pour aller à la soupe en jouant des coudes.
Mais à l'époque on ignorait tout, entend-on dire aujourd'hui. Curieuse excuse, de la part de gens qui font profession d'historiens, qui se targuent d'être des investigateurs infatigables!
C'est un grossier mensonge, le premier d'une longue série. Bien sûr que l'on savait l'essentiel. Et on n'avait pas besoin pour savoir d'attendre que la mort du dictateur laisse ses successeurs distiller, au compte-gouttes, les révélations sur le despote du Kremlin. On pouvait savoir, mais à condition d'en avoir la volonté, et le courage intellectuel qui va avec. Et sans pour autant se ranger dans la cohorte des adulateurs du capitalisme.
Les abjections, les crimes du stalinisme avaient été dénoncés bien avant que Staline ait rendu son dernier soupir. Ils avaient été révélés par ceux-là même qui avaient été les principaux artisans de cette révolution d'octobre 1917, qui avait su ébranler le monde.
Dès 1923, Trotsky et les principaux dirigeants de la révolution communiste décelaient et dénonçaient les premiers signes de la dégénérescence du parti communiste russe et de l'État soviétique. Lénine lui-même, à la veille de sa mort, en signalait l'inquiétante dérive, et le rôle néfaste qu'y jouait Staline. C'est donc une contrevérité historique, un mensonge délibéré, de prétendre aujourd'hui que le stalinisme aurait été le produit naturel du bolchevisme, qu'il s'inscrivait dans sa continuité. Une contrevérité mise sur pied par Staline lui-même, qui construisit, avec la complicité passive ou active de nombreux courtisans, sa propre légende d'héritier de la révolution russe et de continuateur de Lénine. Mais c'est une fumisterie de prétendre qu'il aurait fallu attendre des décennies après sa mort et le travail critique de chercheurs, fouinant dans les archives pour savoir ce qui s'était passé de 1923 à 1953.
Dénoncer le stalinisme naissant, dès le début des années vingt, puis le stalinisme triomphant en URSS et imposant sa loi à tous les partis communistes dans le monde n'était pas chose facile. Et pourtant il y eut des femmes et des hommes pour le faire, sans se ranger pour autant dans le camp d'en face, dans le camp des adversaires du communisme.
Trotsky et ses partisans ont été de ceux-là. Sans entrer dans le détail, les titres de quelques-unes de ses oeuvres majeures, décrivant et analysant la dégénérescence de l'État soviétique et celle, concomitante, du parti bolchevique sont sans ambiguïté: Les Crimes de Staline, La Révolution Trahie, ces livres ont été écrits et édités dans les années trente, et accessibles à ceux qui cherchaient vraiment. Ce combat contre le stalinisme, au nom du communisme, a valu plus de coups que d'honneurs à ceux qui le menaient. De nombreux révolutionnaires qui avaient joué un rôle majeur pour faire triompher la révolution de 1917 et, y compris parmi eux, certains qui avaient capitulé devant Staline, le payèrent de leur vie. D'autres menèrent le combat jusqu'au bout. De nombreux trotskystes, et Trotsky lui-même, tombèrent sous les coups des staliniens. Alors oser prétendre aujourd'hui que l'on ne pouvait savoir à l'époque est une imposture.
Et c'en est une aussi de présenter le stalinisme comme l'enfant naturel du bolchevisme.
Lénine et les dirigeants de l'État ouvrier avaient exproprié les capitalistes et les propriétaires fonciers, proposé la paix à tous les peuples du monde et invité tous les travailleurs, tous les exploités, à les rejoindre dans la lutte révolutionnaire pour édifier un monde fraternel, débarrassé de l'exploitation, de la misère et de l'obscurantisme, de l'oppression. Staline et son régime furent la négation de tout cela. Il n'y avait absolument rien de commun entre la conception qu'avaient du socialisme et du communisme ceux qui, par leur action, contribuèrent à fonder l'État ouvrier soviétique, et l'URSS de Staline.
Mais la seule façon de le vérifier est de se reporter à l'histoire telle qu'elle s'est déroulée, sans emprunter les lunettes déformantes de l'anticommunisme dominant. À la condition que l'on considère cette histoire d'un point de vue révolutionnaire, avec le regard de ceux qui s'interrogent avec sérieux sur les moyens de remplacer le système capitaliste par une société réellement communiste. C'est dans cette optique qu'à notre sens on peut, on doit analyser et comprendre Staline et le stalinisme.