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Côte d'Ivoire : Le gouvernement français dans l'impasse
Depuis l'accord de Marcoussis, censé mettre fin à la crise, la Côte-d'Ivoire a été le théâtre d'importantes manifestations antifrançaises orchestrées par le pouvoir. Laurent Gbagbo, qui dans un premier temps avait semblé accepter l'accord de compromis, a changé de ton en retournant à Abidjan, refusant de partager le pouvoir avec les rebelles comme l'avait recommandé l'accord. Quant à l'impérialisme français, son engagement en Côte-d'Ivoire s'apparente de plus en plus à l'enlisement dans un bourbier.
Gbagbo fait monter les enchères
En revenant à Abidjan, Gbagbo a retrouvé l'appareil d'État, l'armée et les principales forces de répression ivoiriennes, hostiles à toute idée d'accord avec les rebelles.
Les " jeunes patriotes ", ces milices supplétives, xénophobes et antiouvrières, qui depuis de longs mois font régner la terreur parmi la population immigrée, ont été à l'origine des manifestations antifrançaises. Aujourd'hui, elles encadrent les foules de manifestants qui affichent leur hostilité au gouvernement français accusé d'avoir lâché le pays face aux rebelles. Le président ivoirien bénéficie ainsi d'un large soutien comme le montrent les dizaines de milliers de manifestants de ces derniers jours. En bon démagogue, il sait aussi exploiter les sentiments d'une partie des manifestants, opposés à la présence de l'impérialisme français et indignés par la prétention du gouvernement de Paris de décider de la composition du gouvernement ivoirien.
Mais si Gbagbo a pu mobiliser aussi massivement le ban et l'arrière-ban de ses partisans, c'est qu'il a été jusqu'à présent le porte-drapeau, sinon le chef de file, d'une politique ethniste, " l'ivoirité ", dont son parti, le Front Populaire Ivoirien, a fait l'axe central de sa propagande.
Cette politique ethniste qui a creusé un fossé de sang entre les différents peuples de Côte-d'Ivoire n'est pas nouvelle. De Konan Bédié, qui en a été l'instigateur, à Robert Gueï, le général putschiste assassiné au début de la guerre civile, jusqu'à Laurent Gbagbo qui a pris le relais, tous les partis politiques ont fait de cette politique xénophobe leur fonds de commerce. La France de son côté n'a pas hésité à soutenir tous ces dictateurs et tant que les affaires marchaient, cela ne lui posait aucun problème.
Mais aujourd'hui, le gouvernement français se trouve dans l'impasse et semble débordé par les éléments qu'il a contribué lui-même à mettre en place. La rébellion d'une partie de l'armée a abouti à l'éclatement de l'appareil d'État ivoirien et à la partition de fait du pays. En intervenant militairement, la France a sauvé la dictature de Laurent Gbagbo de la déconfiture. Puis avec les accords de Marcoussis, croyant qu'elle pouvait encore décider de l'avenir de son pré carré africain comme aux temps des colonies, elle a essayé de faire en sorte que Gbagbo partage le pouvoir avec les rebelles, compte tenu du rapport de force sur le terrain, promettant même à ces derniers deux ministères importants, celui de la Défense et celui de l'Intérieur, dans le futur gouvernement de réconciliation nationale.
Mais Gbagbo rejette toute idée de partager le pouvoir, tandis que les rebelles, qui avaient déjà cédé sur le départ de Gbagbo, refusent, eux, de faire de nouvelles concessions. Et aujourd'hui, dans la partie de " bras de fer " qui l'oppose au pouvoir ivoirien, le gouvernement français n'a guère le choix.
Doit-il admonester Laurent Gbagbo pour que celui-ci forme un gouvernement d'Union nationale autour de Seydou Diarra, pressenti comme futur Premier ministre ? Exercer des pressions par chefs d'État africains interposés ? Menacer enfin de retirer ses soldats du front si Gbagbo ne respecte pas l'accord, ouvrant ainsi la route du cacao et de la capitale aux forces rebelles ? En fait, le gouvernement français se garde bien de mettre cette dernière menace à exécution. Car il sait qu'il n'a, pour l'heure, pas d'autre solution politique que de soutenir Laurent Gbagbo qui s'accroche au pouvoir.
Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de la situation. Car Gbagbo et ses partisans reprochent justement à la France de ne pas assez s'investir militairement, de ne pas les aider à gagner la guerre civile contre les rebelles. Loin d'apaiser le conflit, les accords de Marcoussis n'ont fait qu'envenimer la situation et aggraver les tensions entre rebelles et forces gouvernementales. La Côte-d'Ivoire est maintenant une véritable poudrière que la France est bien en peine de contrôler. Elle peut certes se retirer en laissant la place aux militaires des États de l'Afrique de l'Ouest, mais rien ne prouve que ceux-ci pourraient être plus efficaces. Mais si au contraire elle faisait le choix de renforcer sa présence militaire, cela signifierait à plus ou moins brève échéance l'enlisement dans le bourbier ivoirien, sans aucune garantie de pouvoir à terme régler le conflit.
La population, première victime du conflit
Mais en distillant le poison xénophobe dans les masses populaires, en exacerbant les sentiments nationalistes, Gbagbo se lance dans une véritable fuite en avant, où soudards, gendarmes et nervis des milices patriotiques continuent à faire régner la terreur et multiplient les exactions. L'assassinat d'un membre dirigeant du RDR par les " hommes en uniformes ", c'est-à-dire les escadrons de la mort, a d'ores et déjà entraîné de violents incidents dans les quartiers populaires d'Adjamé et d'Abobo à Abidjan, où habitent de nombreuses personnes, originaires des pays voisins ou du nord du pays aux mains des rebelles.
Car il ne faudrait pas oublier qu'à Abidjan même, si une partie importante de la population se laisse séduire par le discours xénophobe du pouvoir comme on l'a vu récemment, une autre partie composée de Maliens, Burkinabés, Dioulas, tout aussi nombreuse en est la victime quotidienne. L'opposition à la dictature est réduite au silence et s'il lui prenait l'envie de contre-manifester, elle risquerait de se faire massacrer.
C'est donc la population pauvre ivoirienne, notamment sa fraction immigrée, forte de plusieurs millions de membres, qui est la première victime de la guerre civile et de la terreur que fait régner la dictature de Gbagbo. Ce n'est pas elle que les troupes françaises vont protéger en Côte-d'Ivoire. Et pour elle, il n'y a pas d'avions ni de rapatriement vers la métropole comme pour les ressortissants français qui, s'ils subissent aussi les conséquences de la situation, ne sont pas les plus à plaindre !