Venezuela : Le tribun, le pétrole, l'impérialisme... et le prolétariat18/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1794.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Venezuela : Le tribun, le pétrole, l'impérialisme... et le prolétariat

La grève du secteur pétrolier au Venezuela entrait lundi dans sa troisième semaine. Depuis le 2 décembre elle paralyse la production de brut (80 % des exportations du pays), avec l'objectif de renverser le président Hugo Chavez. D'autres catégories s'y sont jointes : marine marchande, banques, commerçants, toute une partie de l'administration etc.

Les organisateurs de la grève, autoproclamés " société civile ", regroupent la direction de la compagnie pétrolière nationale PDVSA, le syndicat patronal Fedecamaras, les grands groupes de presse et la hiérarchie catholique, mais aussi la très corrompue Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). Les massives manifestations anti-Chavez, qui l'accusent d'imposer une dictature " castro-communiste ", mobilisent d'abord la petite bourgeoisie. Mais le mouvement semble également suivi par nombre de travailleurs. Il faut dire que les patrons leur paient les jours de grève... Et le porte-parole des grévistes du pétrole est un des dirigeants de la compagnie pétrolière nationale ! En face, les manifestations de soutien à Chavez sont comparables en nombre, mais nettement plus populaires.

Un des arguments des " chavistes " est que leur leader a été démocratiquement élu. C'est vrai, mais ça n'est pas tout à fait sa faute : en 1992, c'est par un coup d'État - raté - que le lieutenant-colonel de parachutistes Chavez avait voulu prendre le pouvoir. Emprisonné puis libéré, il est finalement arrivé à ses fins par les urnes en décembre 1998, surfant sur les espoirs de la population d'un pays où 80 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, tout en profitant du discrédit des deux partis traditionnels ayant à leur actif plus d'une répression sanglante d'émeutes de la faim. Réélu depuis avec des scores quasi chiraquiens, Chavez contrôle fermement l'Assemblée. Et surtout l'armée, du moins jusqu'à présent. Depuis quatre ans, développant une rhétorique populiste, il a non seulement inféodé les partis classés à gauche ou à l'extrême gauche, mais il bénéficie du soutien de " cercles bolivariens " dans les quartiers les plus pauvres. Sa démagogie prend des tonalités sociales, anti-impérialistes ou anti-américaines (il a rendu visite à Castro ou Saddam Hussein), mais joue encore sur d'autres registres : en arrivant au pouvoir, il avait invité l'Eglise catholique à le rallier, " afin qu'ensemble nous nous consacrions aux luttes pour le Christ ". Sa principale mesure sociale a consisté en décrets-lois menaçant les grands propriétaires d'imposer, voire de réquisitionner, leurs terres laissées en friches (60 % de la surface cultivable sont au mains de 1 % des propriétaires). Mais la réforme agraire est toujours en suspens.

Par contre, Chavez a mis en chantier l'ouverture du marché des télécommunications (devant rapporter plusieurs centaines de millions de dollars), ainsi que la création de fonds de pension. C'est peut-être dans la perspective de ces réformes qu'il faut comprendre la " révolution atypique " de Chavez comme la caractérise un de ses ministres, une révolution " ni socialiste, ni communiste, car dans le cadre du capitalisme, mais radicale et induisant de profonds changements de structure économique " ! Un " cadre capitaliste " qui prive évidemment le " radicalisme " chaviste de toute efficacité : une de ses lois par exemple, qui décrétait une augmentation des salaires de 20 %, s'est surtout traduite par des licenciements massifs. La population active compte d'ailleurs 15 % de chômeurs, et 54 % des travailleurs ne survivent que dans l'économie informelle.

Mais dans un pays qui est le cinquième producteur mondial de pétrole et le troisième fournisseur des USA, la politique de Chavez - et plus probablement la relative imprévisibilité de son régime - suffisent à susciter une opposition féroce qui ne manque pas de conseillers nord-américains ! En avril dernier, suite à des projets de remaniements de l'équipe dirigeante de l'industrie pétrolière, ladite " société civile " avait réussi à démissionner Chavez. Les États-Unis (et l'Union européenne) n'avaient eu que le temps de féliciter son successeur, avant que des manifestations populaires... et le soutien de l'armée ne le remettent en place 48 heures plus tard. C'est un scénario similaire qui semble se reproduire aujourd'hui. A ceci près que, selon certains officiels, la perspective de la guerre en Irak rendrait l'administration Bush plus impatiente de se débarrasser du " problème Chavez ".

Ce qui est sûr, c'est que le pétrole rend le bras de fer actuel plein d'enjeux pour l'impérialisme. Mais les intérêts de la population que les deux camps tentent d'enrôler ne se trouvent visiblement ni dans le camp des représentants, même prétendus syndicalistes, du patronat vénézuélien, ni dans celui du dictateur populiste.

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