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Leur société
Routiers : Les raisons du mécontentement
La grève des routiers qui devait commencer le 25 novembre n'a pas eu l'ampleur escomptée et ses organisateurs n'ont pu renouer avec le succès des mouvements précédents, notamment ceux de novembre 1996 et 1997. Il est vrai que le tandem Raffarin-Sarkozy avait, comme annoncé, mobilisé les gros moyens pour empêcher les barrages : pas moins de 23 escadrons de gendarmes mobiles, soit le quart des effectifs disponibles, et 20 compagnies de CRS, sans parler de la menace de retrait du permis de conduire pour les chauffeurs qui entraveraient la circulation.
De nombreux patrons avaient également pris les devants, mettant d'office leurs chauffeurs en repos ou en RTT afin que leurs camions ne soient pas immobilisés, volontairement ou involontairement, par des barrages routiers. Enfin, en signant un accord de dernière minute avec les représentants patronaux, quatre syndicats minoritaires (FO, CFTC, CGC et Autonomes) ont aussi contribué au torpillage de la grève.
Les routiers ont pourtant bien des raisons de manifester leur colère. En dépit de leur grève de 1997 et de Gayssot, ministre des Transports de l'époque, qui, pour obtenir l'arrêt du mouvement, s'était engagé à faire respecter de meilleures conditions de travail, celles-ci n'ont cessé de se dégrader. Poussés à toujours plus de productivité, soumis à la pression permanente des entreprises par l'intermédiaire de leur téléphone portable ou du positionnement par satellite, ils doivent faire face à des amplitudes d'horaires toujours plus importantes et rouler toujours plus vite. Les chiffres d'ailleurs le confirment : en dépit de la forte croissance du volume de marchandises transportées, les effectifs et le nombre de camions sont restés quasiment stables au cours des deux dernières décennies.
Parallèlement, les chauffeurs sont de plus en plus mal payés : les nouveaux embauchés gagnent un Smic au rabais, sans garantie de salaire, tandis que d'autres avec de l'ancienneté arrivent à peine à 1 400 euros de salaire net pour 220 à 240 heures de travail par mois. Quant aux heures supplémentaires non payées, aux " temps d'attente " pour charger ou décharger reconvertis en " temps de repos " - et donc non payés -, aux heures de nuit non majorées, aux primes non versées, ce sont des pratiques qui se perpétuent et qui ramènent le taux horaire effectif bien en dessous du Smic.
Les représentants du patronat ainsi que les syndicats signataires de l'accord ont présenté l'octroi de 14 % d'augmentation moyenne des salaires sur trois ans comme une grande avancée. En réalité, comme le soulignent la CGT et la CFDT, cette mesure ne fait qu'entériner la volonté du patronat de bloquer l'augmentation des salaires jusqu'en 2005 au niveau du Smic en s'appuyant sur la loi Fillon. Et les patrons continuent à ne pas vouloir entendre parler d'un 13e mois pour tous les salariés du transport, ni de prime de fin d'année. Pas plus qu'ils ne veulent revenir sur le délai de carence en cas de maladie, qui fait perdre cinq jours d'indemnité aux salariés concernés. De même, aucun engagement n'a été pris quant à la reconduction du système de préretraite à partir de 55 ans au-delà de 2003, pourtant pleinement justifié compte tenu de la pénibilité du travail.
En revanche, le patronat des transports routiers a profité du conflit pour faire entendre ses propres revendications auprès du gouvernement, sachant qu'il trouverait une oreille complaisante. Résultat, outre un relèvement de la détaxation du carburant, ce dernier s'apprête à accorder de nouveaux allégements de charges aux entreprises.
Il n'en demeure pas moins que, du côté des salariés, les raisons d'un nouveau conflit n'ont pas disparu. D'autant que de nouvelles dégradations sont à prévoir, du fait de la concurrence sauvage entre les entreprises de transports ainsi qu'avec l'application d'une nouvelle réglementation européenne prévoyant de repasser à 74 heures de conduite hebdomadaire (soit 110 heures de travail), au lieu des 56 heures du plafond actuel.