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Dans le monde
Grande Bretagne : La grève des pompiers
Les 52 000 pompiers britanniques sont en colère. Après une première grève de 48 heures, les 14 et 15 novembre, ils menacent le gouvernement Blair de trois grèves de huit jours, dont la première est prévue à partir du vendredi 22 novembre.
Leur revendication ? Une augmentation de salaire de 40 %. Pour un pompier ayant cinq ans d'ancienneté, cela porterait son salaire net après impôt à environ 18 000 F par mois, pour 42 heures par semaine, soit l'équivalent d'un policier en tenue ou 60 % de plus qu'un OS sur chaîne dans une grande entreprise comme Ford (sachant que le coût de la vie en Grande-Bretagne est entre 30 et 60 % supérieur à ce qu'il est en France, suivant les régions).
Ce chiffre de 40 %, qui tranche sur les miettes que revendiquent traditionnellement les directions syndicales, n'a pas été choisi au hasard. C'est la rallonge que s'est accordée Blair lui-même après sa ré-élection en 2001. Or cela fait bien des années, y compris depuis que les Travaillistes sont revenus au pouvoir il y a cinq ans, que le secteur public doit se contenter de rares rallonges, bien en-dessous du niveau de la hausse réelle des prix.
Avec les pompiers, de surcroît, cela fait un an que Blair joue au chat et à la souris. Bien que corps national, les pompiers sont employés par les collectivités locales et c'est donc avec celles-ci que leur syndicat négocie. Mais c'est Blair qui tient les cordons de la bourse et décide de ce que les municipalités peuvent budgetter. Moyennant quoi Blair bloque depuis un an une augmentation de 16 % qui avait fait l'objet d'un accord, en refusant de financer cette augmentation au-delà de 4 %.
Blair ne veut pas susciter des émules dans le secteur public, bien sûr. Mais, en plus, il espère pouvoir se servir de l'appât d'une rallonge pour faire passer plus tard ses plans de fusion entre les pompiers et les services d'ambulances, qui ne sont pas encore prêts. Car ces plans ne peuvent que se traduire par des milliers de suppressions d'emplois, mais également par une aggravation des conditions de travail sous la forme d'horaires flexibles, d'heures supplémentaires au forfait et d'emplois à temps partiel - toutes choses que les pompiers ont rejetées avec succès jusqu'à présent.
Néanmoins, avec les pompiers, Blair s'est heurté à une direction syndicale qui a à la fois de fortes traditions corporatistes et des traditions de gauche (le syndicat des pompiers était encore dirigé par des membres du Parti Communiste Britannique à la fin des années 1980) et qui, pour une fois, a choisi de s'appuyer sur le mécontentement de ses membres. D'où l'escalade qui a conduit, pour la première fois depuis 1977, à une grève nationale des pompiers.
Durant cette grève, l'armée et ses antiques véhicules d'urgence (les " déesses vertes " comme on les appelle par dérision du fait de leur couleur) sont intervenus. Ce qui a donné lieu à des scènes hilarantes de soldats s'emmêlant dans des lances à incendie. Heureusement pour les victimes, les pompiers en grève avaient pour consigne d'intervenir lorsque des vies humaines étaient en danger, tout en laissant les biens mobiliers à l'armée !
Devant les performances désastreuses de son armée, Blair est passé aux menaces - celle de priver les pompiers du droit de grève, de faire confisquer leurs véhicules par l'armée lors de la prochaine grève (ce qui ne fera qu'empirer les choses), mais aussi de sanctionner les 180 conducteurs du métro londonien qui ont refusé de travailler faute de sécurité dans les tunnels en cas d'incendie.
L'ennui pour Blair c'est que cette grève est immensément populaire. Elle l'est parce que les pompiers bénéficient d'une sympathie comparable à celle dont jouissent les infirmières, mais aussi parce que nombre de salariés, du public comme du privé, se reconnaissent dans leur colère contre le gouvernement. Et cela ne laisse pas à Blair une énorme marge de manoeuvre, car cette popularité renforce les pompiers dans leur détermination.
D'un autre côté, pour que cette popularité puisse devenir réellement un levier contre la politique de Blair, il faudrait que les travailleurs puissent l'exprimer autrement que par des collectes en faveur des grévistes ou des coups de klaxon d'encouragement adressés aux piquets de grève devant les casernes. Il faudrait que les travailleurs aient l'occasion de mesurer leur propre mécontentement en exprimant leur soutien aux pompiers et par la même occasion en formulant leurs propres revendications.
Mais pour combatif que soit le syndicat des pompiers - pour l'instant d'ailleurs, car cela peut changer - il n'a aucune intention de mener son offensive contre Blair en dehors du strict cadre corporatiste. Quant au reste de la bureaucratie syndicale, elle cache mal son envie de jouer les pompiers de la lutte de classe pour tirer Blair de ce mauvais pas.
Cela dit, le bras de fer n'est pas encore fini. Et il faut souhaiter qu'en se terminant en faveur des pompiers - ce qui en ferait le premier succès remporté à l'échelle nationale par la grève depuis bien des années - il redonne un peu de confiance aux travailleurs britanniques dans leurs propres capacités à lutter collectivement.