France-Telecom : Entreprise capitaliste modèle ?20/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1781.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

France-Telecom : Entreprise capitaliste modèle ?

Après avoir annoncé une perte importante et une dette record de 70 milliards d'euros (ce qui représente plus du quart du budget de l'État), le président de France Télécom, Michel Bon, a démissionné. Nommé par Chirac sous le gouvernement Juppé en septembre 1995, il avait été maintenu par la gauche deux ans plus tard et le nouveau ministre de l'Economie, Francis Mer, l'avait soutenu encore cet été... France Télécom est donc aujourd'hui en état de quasi-faillite. La comparaison avec le trou du Crédit Lyonnais vient à l'esprit de nombreux commentateurs. Une association d'actionnaires déclare attendre " que l'État fasse son devoir " qui consiste à renflouer l'entreprise. Ainsi, après avoir bénéficié d'une privatisation des profits, les actionnaires, et pas seulement les petits, réclament une nationalisation des pertes. Et c'est effectivement un " plan de sauvetage " de ce genre que prépare le ministère des Finances.

La droite au gouvernement cherche à se défausser sur ses prédécesseurs. Un député de l'UMP (le parti chiraquien) a demandé que Jospin et Fabius viennent s'expliquer devant les députés, les accusant de laxisme dans le contrôle que l'État aurait dû exercer du fait qu'il est encore majoritaire (à 54 % ) dans le capital de France Télécom. Cela ne manque pas de sel quand on se souvient que, pendant des années, les politiciens de droite - comme d'ailleurs ceux de gauche - donnaient cette entreprise en exemple, non parce qu'elle conservait des liens avec l'État, mais au contraire parce qu'elle avait commencé de s'en affranchir. A les écouter alors, France Télécom avait reçu deux produits dopants extrêmement efficaces : l'ouverture à la concurrence du marché des télécommunications et la privatisation d'une partie de son capital.

Les bienfaits proclamés de la privatisation

C'est précisément en vue de sa privatisation que le gouvernement Juppé avait, au 1er janvier 1997, transformé l'établissement public en société anonyme. " La France a maintenant besoin d'un nouvel élan, d'un élan partagé, sous le signe de l'initiative et de la solidarité. (...) Voyez France Télécom. Avec le nouveau statut, le prix du téléphone va baisser, les services à la clientèle vont se développer, l'entreprise, plus performante, va renforcer ses positions et gagner des parts de marché partout dans le monde, au bénéfice de l'emploi et des technologies françaises ", déclarait Chirac le 6 mai 1997.

L'euphorie de Chirac fut partagée par la gauche, de retour au gouvernement à la suite des élections anticipées. Lors de la campagne électorale de 1997, le PS s'était fendu d'une déclaration contre la privatisation, mais dès son retour au gouvernement ces propos étaient déclarés nuls et non avenus. La gauche plurielle engagea rapidement la privatisation de France Télécom, rebaptisée hypocritement " ouverture du capital ". A en croire Jospin, il s'agissait de " l'équilibre entre projet industriel et garantie du service public ". " Un formidable succès ! ", s'extasia le ministre de l'Economie, Dominique Strauss-Kahn, apprenant que plus de 3 millions de personnes avaient souscrit aux actions en octobre 1997. Michel Bon, qui venait d'être reconduit par la gauche, fêta l'événement à la Bourse de New York avec un spectacle de french cancan. Quant au quotidien Libération il s'était laissé aller à un cocorico sur " un service public à la conquête de Wall Street ".

Moins de trois mois plus tard, ce fut l'ouverture à la concurrence des télécommunications en Europe. Préparée par la droite, le gouvernement de gauche la mit en pratique en janvier 1998, ce qui revenait à offrir à Cegetel (Compagnie Générale des Eaux, aujourd'hui Vivendi) et à Bouygues une part du gâteau du marché des télécommunications, considéré alors comme particulièrement juteux. C'était l'époque où on allait voir ce qu'on allait voir, la " nouvelle économie ", fondée sur l'information et la communication, devait donner un nouveau souffle au capitalisme. France Télécom, de même que ses concurrents, annonçaient de nouveaux " investissements " ; il s'agissait en réalité en grande partie de simples rachats d'autres sociétés, la spéculation portant sur une nouvelle technologie de téléphonie mobile qui devait permettre de soutirer beaucoup d'argent aux usagers devenus des clients.

Profits sur le dos des salariés

L'envolée boursière reposait aussi sur un autre fait, bien réel celui-là, les suppressions d'emplois. Par exemple, en novembre 1999, l'action connut une hausse à la suite de l'annonce par Michel Bon de 18 000 nouvelles suppressions d'emplois en trois ans. Selon la CGT, entre 1996 et fin 2001, France Télécom est passée de 149 000 à 124 000 salariés par le jeu du non-remplacement des retraites et des préretraites à 55 ans, ainsi que par des départs vers les filiales.

Cette année la direction entend diminuer les effectifs de 6 %, soit plus de 7 000 suppressions d'emplois, sans parler des filiales. Les conditions de travail s'aggravent à coups de réorganisations successives : à chaque fois, les salariés doivent postuler à un nouveau service, souvent éloigné de leur domicile, qui ne compte que des effectifs en nombre restreint. La baisse des effectifs a été particulièrement sensible dans la branche " Réseau ", passée de 52 000 à 29 000 salariés entre 1996 et la fin de 2001, ce qui augmente le risque de pannes.

Mais depuis quelque temps les agences commerciales sont elles aussi concernées ; certaines d'entre elles ont été fermées par souci de rentabilité, dans d'autres les files d'attente s'allongent. Le consommateur n'est pas ménagé. Qu'il téléphone beaucoup ou peu, il est tenu d'acquitter un abonnement qui a fait des bonds ces dernières années et a encore augmenté cet été de 3,6 %.

Aux actionnaires de payer

Après sa déclaration de quasi-faillite, la direction de France Télécom va tenter d'en faire supporter les conséquences à ceux qui travaillent. Les quelque 5 000 salariés de Mobilcom en Allemagne et ceux des différentes filiales de France Télécom, en France et à l'étranger, risquent d'être les premiers touchés. Déjà, le dirigeant de la filiale Orange déclare vouloir " traquer les coûts de manière obsessionnelle ". Et l'ensemble du personnel, fonctionnaires compris, verrait encore une fois ses conditions de travail s'aggraver.

Mais il n'y a aucune raison que les salariés, dont la situation s'était nettement dégradée alors que l'entreprise était florissante à la Bourse, fassent à nouveau les frais de la situation. Dès le premier jour de l'introduction de l'action France Télécom en Bourse, les actionnaires qui ont revendu leurs parts ont touché une plus-value de 18,1 % et cela a continué jusqu'en mars 2000, quand la valeur a atteint huit fois sa valeur initiale, avant de chuter. Et France Télécom n'était pas une exception. C'est aux gros actionnaires qui ont encaissé des dividendes pendant des années et des plus-values lors de la revente de leurs actions de payer, pas aux salariés !

Partager