Russie : Un recul continu13/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1780.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Un recul continu

Au printemps 2000, tout juste élu à la tête de la Fédération de Russie, Poutine se faisait fort d'y remettre de l'ordre. Désormais, il s'en vante moins, et pour cause. Outre la situation en Tchétchénie, une " tragédie " vient-il d'avouer, aucun des problèmes qu'il prétendait résoudre ne prend le chemin d'un règlement.

La presse centrale qu'il a reprise en main, un de ses rares succès, n'est guère soupçonnable de noircir le tableau. Or celui qu'elle dresse de la situation est tout, sauf riant.

Des caisses toujours vides

Le 13 août, le quotidien Izvestia annonçait une baisse de 25 % des investissements étrangers en Russie depuis début 2002, alors que les autorités répètent depuis des années vouloir les attirer pour pallier le fait que les nantis russes refusent de réinjecter dans l'économie même une partie de ce qu'ils en détournent. Certes, ces derniers temps, certains de " leurs " capitaux sont revenus, mais d'abord pour être prêtés au prix fort à un État toujours autant désargenté. Résultat, financièrement cela l'étrangle encore plus. De plus, loin de marquer un réel changement d'attitude des affairistes locaux qui pourrait relancer l'économie, le retour des spéculateurs risque de la précipiter dans une nouvelle crise. En tout cas, la presse ne l'exclut pas, tel le journal économique Viédomosti qui titrait sa Une du 16 août : " Tout va à nouveau pour le mieux, juste comme avant la crise "... de l'été 1998. Et le Kremlin a bien des raisons de le craindre.

Cet été, le Premier ministre russe a de nouveau reçu les " oligarques " (ces magnats de la finance et de l'industrie dont la place dépend des faveurs du pouvoir) pour leur demander de rapatrier une partie des centaines de milliards de dollars qu'ils abritent dans des paradis fiscaux. Poutine a déclaré dans une interview qu'ils avaient volé l'État en grand (ajoutant que le principal coupable est l'État qui n'a pas su les en empêcher !) et leur a promis une amnistie. Si même, disait-il, un quart de ce pactole revenait en Russie, l'État pourrait équilibrer son budget, financer l'économie, investir dans les transports, télécommunications, infrastructures, services publics, toutes choses au point mort depuis la fin de l'URSS.

Le refrain n'a rien de neuf : même aujourd'hui enrobé de sollicitude présidentielle, les nantis russes n'ont pas plus qu'hier de raisons de s'y plier. Car leur mise au pas, promise par Poutine, a fait long feu. Elle a consisté à écarter ceux qui étaient trop liés à son prédécesseur Eltsine et à faire comprendre aux autres que, sous réserve de ne plus défrayer la chronique ni manifester d'ambitions politiques, le pouvoir les laisserait mener leurs affaires en paix. Les chefs politiques du pays y trouvent leur compte personnellement, car mille liens les unissent aux " oligarques ", mais, politiquement, ce pillage toléré en haut lieu ne fait pas l'affaire du régime dont il continue à affaiblir le pouvoir au sommet.

Dans les régions

En effet, derrière les rodomontades de Poutine sur la restauration de l'ordre et de " l'État fort ", les choses ne changent guère en ce domaine. Dernier en date d'une très longue série de " meurtres d'affaires ", écrit la presse russe, l'assassinat, mi-août, du dirigeant d'une grosse société de courtage a eu pour toile de fond les luttes d'influence entre les clans politico-mafieux qui veulent mettre la main sur le charbon de Sibérie, car la guerre autour des ressources de cet immense pays se poursuit entre les chefs des régions et leurs coteries.

Ces derniers, Poutine les a coiffés de sept super-préfets, ce qui a mis une sourdine à leurs velléités d'indépendance juridique. Mais sans pour autant empêcher ces gouverneurs de continuer à piller leur région par-dessus la tête du Kremlin. Car, même qualifiés de " représentants du président russe dotés de pleins pouvoirs ", les super-préfets n'ont pas celui de redresser une situation économique générale désastreuse sur laquelle s'appuient les " élites " régionales tout en l'aggravant (un des principaux ministres déclarait cet été que, faute d'une hausse des cours du pétrole, le budget 2002 ne pourrait être réalisé). Et la faiblesse financière persistante de l'État russe qui en résulte ne cesse d'inciter les régions - et leurs dirigeants - à prendre toujours plus de distance avec les autorités centrales.

La tribune récente publiée dans les Izvestia par le super-préfet de l'Extrême-Orient russe en a fourni une illustration. Il y décrivait la situation comme " celle de tous les dangers ", soulignant que, faute d'investissements et de transports, ce territoire grand comme plusieurs fois la France va à la dérive sans que " l'autorité du centre " puisse s'y faire sentir. Certes, on n'y parle plus d'indépendance comme durant les années Eltsine où les gouverneurs n'avaient que ce mot à la bouche. Mais, constatait le représentant de Poutine, les régions de Khabarovsk et de Vladivostok vivent leur vie. Une vie faite de précarité (chaque hiver, même ces deux grandes villes ne sont plus chauffées, faute d'approvisionnement, ce qui provoque des manifestations, voire des émeutes) et d'autarcie, car bourgades et villages se replient sur eux- mêmes, autour des entreprises industrielles et agricoles que les autorités maintiennent tant bien que mal en activité. Au passage, ces dernières ne se privent pas de surexploiter tout ce qu'elles peuvent exporter : charbon et minerais, diamants de Yakoutie, arbres de la taïga destinés à la Chine voisine où, du fait de la déforestation, on a interdit les coupes de bois depuis quelques années, etc.

Une partie de l'administration, et de la petite bourgeoisie liée aux autorités qui organisent et couvrent ces trafics, s'y enrichit en nouant des liens de plus en plus étroits avec le Japon, la Corée ou la Chine, au fil d'un commerce, légal ou non, où figure également l'importation de véhicules, d'occasion, vu l'appauvrissement de la population. Cela tandis que les travailleurs des grandes usines régionales (elles aussi coupées de leurs partenaires du reste de la Russie) se retrouvent souvent sans emploi et que dans le port de Vladivostok, orgueil de la marine russe car le seul du pays que les glaces ne bloquent jamais, nombre de bateaux rouillent à quai. Même des bâtiments de guerre n'y ont plus d'autre usage que... d'abriter les familles des officiers de la flotte qui, sinon, n'auraient nulle part où habiter.

Fin août, Poutine a rencontré son compère, le dictateur de Corée du Nord, dans la capitale de l'Extrême-Orient russe. En son honneur, les autorités avaient refait à neuf le centre-ville et tendu des calicots " L'avenir de la Russie, c'est Poutine ". Un " avenir " qui ressemble à un recul continu vers le sous-développement.

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