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Dans les entreprises
La grève des pilotes d'Air France
La grève des pilotes d'Air France a provoqué les hauts cris de la direction, relayée par toute une partie de la presse, les uns et les autres les présentant comme des privilégiés ayant de hauts salaires. Comparés à ceux de la majorité des travailleurs, ceux des pilotes ne sont certes pas les pires. Encore que bien des cadres dans l'industrie, la banque, etc., sans parler des cadres dirigeants et PDG, gagnent autant, sinon plus qu'eux.
Et bien sûr, ni la direction ni les médias ne le disent, les salaires des pilotes nouvellement embauchés sont bien en retrait par rapport aux grilles salariales que la direction a dénoncées en 1998 pour tous les personnels navigants, qu'ils soient techniques - les pilotes - ou commerciaux - les hôtesses et stewards.
En outre, les salaires des pilotes ont été gelés pendant huit ans, les syndicats corporatistes (majoritaires dans la profession) ayant troqué la poursuite de ce blocage contre l'acquisition d'actions de la compagnie lors de sa privatisation partielle en 1999. Un marché de dupes : le cours de l'action Air France a suivi le mouvement de la Bourse et est maintenant inférieur à son cours d'émission.
À trop vanter ses bons résultats...
La direction de la compagnie croyait avoir ainsi " acheté " la paix sociale avec les syndicats corporatistes. Résultat : pendant plusieurs jours, elle a dû annuler la majorité de ses vols. Et elle l'a bien cherché, depuis des mois qu'elle se répand en communiqués triomphants sur ses " performances " - compression de la masse salariale, croissance du taux de remplissage des avions, augmentation de la productivité du personnel technique au sol, profits en hausse, rachats de compagnies comme Air Afrique, gains de parts de marché sur la concurrence...
Le 5 septembre, veille de la grève des pilotes, elle publiait un grand encart à la rubrique Informations des sociétés du quotidien La Tribune, où elle titrait : " Air France - avril-juin 2002 - des résultats largement positifs dans un contexte difficile ". Et de préciser : " Au cours de ce trimestre, Air France est devenu la première compagnie européenne avec 17,5 % de part de marché ". Commentant ses résultats, des journaux ont expliqué qu'en un semestre, elle aurait fait autant de chiffre d'affaires que durant les douze mois précédents et que, pour ses profits, elle se place au troisième rang mondial.
Les craintes des bonnes âmes
Et la direction d'Air France s'étonne de ce que cela donne des idées aux pilotes ! Mais le contraire aurait été étonnant. Ce qui l'est encore plus, c'est qu'elle ne se retrouve pas face aux revendications des autres catégories de personnel qui, elles aussi, ont subi des années de blocage salarial, avec des salaires bien inférieurs à ceux des pilotes ; qui elles aussi voient diminuer les salaires d'embauche. Cela quand embauche il y a, car les directions des services d'Air France Industries, par exemple, ont encore reçu cet été une note leur enjoignant de continuer à réduire leur personnel.
Dans ces conditions, que la santé financière de la compagnie apparaisse comme une véritable provocation et que cela puisse faire déborder le ras-le-bol au-delà de la seule catégorie des pilotes, voilà ce que craint la direction d'Air France. Et elle n'est pas la seule. C'est ce que la plupart des commentateurs reprochent à cette grève qu'ils jugent " irresponsable ". Le Monde a même consacré son éditorial du 9 septembre à ce qu'il appelle une " menace sur Air France ". On y lit que " réclamer une augmentation de rémunération de 10 %, comme les pilotes, risque de déclencher l'indignation des autres catégories de salariés, qui n'ont obtenu que 0,8 % de hausse en 2002 ", ce qui pourrait compromettre " la perspective de privatisation du groupe ", avec, en conclusion : " La grève des pilotes détériore un climat social et menace de provoquer une multiplication des revendications des autres catégories. Qui pourra tirer profit d'une compagnie à nouveau divisée et en pertes ? "
Les pertes qui inquiètent ce journal, ce n'est pas ce que 65 000 salariés d'Air France ont perdu en pouvoir d'achat au fil d'années de salaires bloqués. Non, c'est le manque à gagner, pour les actionnaires présents et futurs, que représenterait la hausse des salaires de ceux dont le travail fait la prospérité d'une compagnie que Jospin-Gayssot ont commencé à privatiser et que Raffarin-de Robien voudraient offrir plus largement aux appétits des investisseurs privés.
Eh bien, la seule chose que l'on puisse souhaiter, c'est que se concrétisent les craintes de tous ces gens-là. Car les pilotes pourraient donner envie à la majorité des salariés d'Air France de se faire entendre, s'ils ne se laissent pas abuser par de prétendus syndicalistes que l'on entend, à la télévision ou dans les services, tenter de dresser les catégories de personnel les unes contre les autres, en attisant des rancoeurs et des préjugés qui ne peuvent profiter qu'à la direction.
Mercredi 11 septembre, à l'occasion d'un Comité central d'entreprise où la direction devait préciser le plan de privatisation façon Raffarin, les syndicats CGT et SUD ont appelé le personnel au sol à des arrêts de travail allant jusqu'à 24 heures. Si cette grève est l'occasion pour des dizaines de milliers de salariés d'Air France de faire leurs comptes, et si cela leur donne l'envie d'aller présenter la note à la direction, elle ne l'aura pas volé.