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Compagnies aériennes
Bataille dans le ciel, emplois supprimés au sol
L'été, période d'intense activité du transport aérien, a été marqué, cette année, par la poursuite de ce qui ressemble à une hécatombe de compagnies aériennes, aux États-Unis comme en Europe.
Le 12 août, US Airways, 6e compagnie américaine, qui a déjà réduit ses vols de 20 % en un an et son personnel d'un quart (11 000 licenciements), annonçait sa faillite et le fait qu'elle se plaçait sous la protection de la loi américaine sur les faillites, qui autorise les entreprises à continuer de fonctionner à condition de restructurer - en clair, de licencier.
Le 13 août, c'était au tour d'American Airlines, numéro Un mondial du secteur, d'annoncer 1,07 milliard de dollars de pertes, et dans la foulée 7000 licenciements, qui s'ajoutent aux 18 000 emplois (sur 128 000) qu'elle a déjà supprimés cette année.
Le 14 août, United Airlines, seconde compagnie des USA, imitait USAir en se plaçant sous la protection de la loi sur les faillites. Ses actions ayant chuté en Bourse de 60 % depuis le début de l'année, sa direction avait tenté d'obtenir du personnel qu'il accepte des baisses de salaire pour rembourser les dettes de la compagnie, une pratique courante dans le secteur aérien, Air France y ayant eu recours, voici quelques années, avec ses pilotes. Or, si ceux d'United (qui détiennent 25 % de ses actions) ont accepté, le reste du personnel (qui a 30 % de son capital) a refusé. Là aussi, la compagnie annonce de nouveaux licenciements.
Des deux côtés de l'Atlantique
En Europe, la situation n'est guère différente. British Airways, qui a plusieurs fois supprimé des milliers d'emplois en un an, serait à la limite du dépôt de bilan. Alitalia connaît de très grosses difficultés financières. Olympic Airways, compagnie nationale grecque, serait en quasi-faillite... Cette année, Sabena (Belgique) et Swissair ont mis la clé sous la porte, et à la porte des milliers de salariés. Mais les difficultés de Swissair n'en ont pas été pour ses actionnaires, le principal étant le baron Seillière, dont l'apport en capital bénéficiait d'une garantie de rendement de la part de l'État helvétique. Sans oublier le fait que, avant de déposer son bilan, Swissair a rapporté gros à ses actionnaires, entre autres par le biais de transferts de charges et coûts sur certaines filiales, dont AOM-Air Liberté.
Il y a juste un an, quand Air Liberté (devenue depuis Air Lib) a fait faillite, le ministre des Transports d'alors, Gayssot, avait promis que pas un seul salarié " ne resterait sur le tarmac " (sur le carreau). De nombreux salariés s'y sont pourtant retrouvés tandis que, jusqu'à l'élection présidentielle, le gouvernement accordait aides et prêts à Air Lib réduite en personnel, plutôt que de forcer les Seillière et compagnie à assurer les emplois, et même à verser à Air Lib ce qu'ils lui devaient. Eh bien, mi-août, il est à nouveau question de mettre Air Lib en faillite et, à courte échéance, d'y supprimer 500 emplois. Même chose pour une autre " petite " compagnie, Corsair, où 150 emplois sont menacés.
Le produit de la course au profit capitaliste
Cette cascade de faillites, et de licenciements massifs, ne tombe pas du ciel. Et elle n'a rien à voir avec les attentats du 11 septembre à New York, maintes fois évoqués dans la presse (qui reprend les dires des dirigeants de compagnies) pour " expliquer " la situation actuelle.
Celle-ci, en réalité, ne date ni d'hier ni du 11 septembre 2001, même si la tragédie des deux avions précipités par des terroristes sur les tours jumelles de Manhattan a servi de prétexte aux compagnies aériennes pour continuer un mouvement de restructurations et de licenciements à l'échelle mondiale entamé depuis des mois.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, le taux de profitabilité des compagnies a commencé à baisser car, si le trafic de passagers et de fret continuait de croître, il augmentait moins vite que l'offre. Les compagnies, privées ou non - et dans ce cas, souvent en voie de privatisation -, avaient toutes accru leur flotte et leurs vols en tablant sur la poursuite de la croissance du trafic et en se lançant dans une concurrence effrénée pour rafler des parts de marché à leurs rivales, en proposant des remises passagers plus ou moins importantes. Dès début 2001, il fallu bien se rendre à l'évidence. Face à la surabondance de l'offre, le taux de remplissage des avions baissait, donc les rentrées. Cela d'autant plus qu'un autre critère de gestion des compagnies, le prix unitaire (c'est-à- dire le prix réellement acquitté par chaque passager) se tassait du fait d'une concurrence au couteau entre compagnies pour tenter d'attirer la clientèle du voisin. Résultat, les compagnies ont cherché à redresser leurs comptes et leurs profits en licenciant. Pour leurs dirigeants et actionnaires, le drame du 11 septembre vint donc à point nommé pour couvrir ce qu'ils avaient commencé à faire, et pour l'amplifier (entre septembre 2001 et mars 2002, plus de 120 000 salariés ont été licenciés par les seules grandes compagnies mondiales), mais ils n'en réclament pas moins des subventions à leur État.
Les perdants et les gagnants
Si les grands perdants d'une crise comme le capitalisme en connaît périodiquement du fait de son fonctionnement aberrant sont en l'occurrence les travailleurs du transport aérien, et si cela aboutit aussi à des disparitions de compagnies, les actionnaires de ces dernières n'y perdent pas forcément. Au contraire. On l'a vu à propos de Seillière, mais cela vaut également pour bien d'autres qui ont arrondi leur fortune durant la période où le ciel leur souriait et qui, soit la placent maintenant ailleurs que dans le transport aérien, soit continuent à la faire fructifier à coups d'aides publiques en tout genre.
A cela s'ajoutent - même si la presse et les gouvernements en parlent peu - les compagnies qui tirent leur épingle de ce jeu de massacre. Cette année, Air France, par exemple, a augmenté de 22 % les dividendes versés à ses actionnaires tout en rachetant Air Afrique (et en y licenciant) et en attirant dans l'orbite de son regroupement international, SkyTeam, Alitalia et la tchèque CSA, mais aussi en profitant largement des faillites d'AOM-Air Liberté, Sabena et Swissair, dont elle a capté une partie de la clientèle.