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- Lutte ouvrière n°1769
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Leur société
Les allégements de charges patronales... C'est déjà fait... Et ça ne sert pas l'embauche !
François Fillon, le nouveau ministre du Travail et des Affaires sociales, a promis, reprenant le programme de Chirac, un " plan pour l'emploi des jeunes ". Mais, comme à chaque fois, " les jeunes " sont le prétexte, les bénéficiaires seront les patrons. Car en fait Fillon ne promet pas l'emploi des jeunes mais une exonération totale des charges patronales pour l'embauche de jeunes pas ou peu qualifiés de 18 à 22 ans. Ce qui n'est pas la même chose.
Cette mesure coûtera au budget de l'Etat des milliards d'euros supplémentaires, alors que l'on sait d'avance qu'elle ne servira en rien à faire reculer le chômage, pas même celui des jeunes.
Depuis vingt ans en effet se sont succédé les Tuc, les exo-jeunes, les CES, CEC, CIE, CRE, contrats de qualification, etc., qui étaient tous autant de prétextes à des emplois sous-payés et qui étaient pris en charge par l'Etat, pour le plus grand bonheur des employeurs.
Les réelles créations d'em-plois dues à ces dispositifs sont insignifiantes. Le nom pour qualifier ces mesures est évocateur, puisqu'on parle à ce propos " d'effet d'aubaine ". En effet, la plupart du temps, les embauches réalisées auraient eu lieu : l'exonération ne crée pas vraiment d'emploi mais rapporte un profit supplémentaire au patron. Il arrive aussi que les patrons, alléchés par les subventions, se débarrassent de travailleurs plus âgés, donc mieux payés, pour embaucher " un jeune ". Là, on appelle cela " un effet de substitution " : on a remplacé un chômeur par un autre dans la file d'attente à l'ANPE.
Les patrons ne cachent même pas ces pratiques. " L'effet d'aubaine " représente bien souvent 80 à 90 % des embauches. Dans un rapport d'enquête parlementaire sur les aides à l'emploi datant de 1999, Martine Aubry, à l'époque ministre du Travail, expliquait à propos du Contrat Initiative Emploi (CIE) créé en 1995 par Juppé que, " pour dix embauches en CIE, une ou deux seulement n'auraient pas eu lieu sans aide ", toutes les autres auraient eu lieu de toute façon. D'après elle, le coût par emploi réellement créé était de 350 000 F par an. Cela représente l'équivalent de trois emplois payés 8 000 F net. Mais Martine Aubry, malgré son constat, n'a pas mis fin à ces contrats et emplois subventionnés. Bien au contraire.
Dans la même enquête, elle se prononçait sur " la ristourne Juppé sur les bas salaires ", la principale mesure de subventions prise par le gouvernement de droite et qui consistait en l'allégement de charges sociales pour le Smic et jusqu'à 1,3 Smic. D'après Martine Aubry, en 1995 cette mesure coûtait 45 milliards de francs et n'avait permis de créer que 40 000 emplois, " soit un coût de un million de francs par emploi ". Avec la même somme, l'Etat aurait pu créer dix fois plus d'emplois.
Il aurait fallu, c'était la logique, supprimer ces exonérations. Mais Martine Aubry ajoutait : " Je ne dis pas que c'est trop important puisque je souhaite multiplier ce montant par 2,5 et aboutir à un peu plus de 100 milliards. " Effectivement, les exonérations aux patrons ont poursuivi leur envol.
Les seules exonérations de cotisations représentaient 31,7 milliards de francs en 1994, 43,4 en 1995, 64,3 en 1996, 73,2 en 1997 et plus de 100 milliards de francs en 2001, sans parler des subventions de tous ordres aux patrons venant de l'Etat et des collectivités locales. Il y a donc une parfaite continuité entre les gouvernements Balladur, Juppé et Jospin, sur ce plan comme sur d'autres. Et Raffarin/Fillon n'auront aucune difficulté à s'inscrire dans la lignée de leurs prédécesseurs.
La seule difficulté est de trouver le prétexte et la manière à ces diminutions de charges. En effet, depuis la loi sur les 35 heures, les patrons ne payent plus grand- chose comme cotisations sur les bas salaires. D'après le tableau fourni par le ministère des Affaires sociales, au niveau du Smic, à la place des 30,5 % de cotisations sociales qu'ils devraient payer sur le salaire brut, les patrons ne payent que 4,5 % de cotisations, les 26 % restants, soit 21 500 F par an, sont pris en charge par l'Etat. Ces exonérations sont dégressives jusqu'à 1,8 Smic, et représentent encore 4 000 F par an au-delà.
Cela n'empêche pas nos politiciens et experts économiques de s'insurger contre le " coût du travail " qu'ils prétendent trop élevé.
Mensonge ! Ce n'est pas l'argent qui manque au patronat pour embaucher. Les profits des grandes entreprises sont à un niveau historiquement très haut. Le taux d'épargne de ces groupes capitalistes atteint des sommets. Ce n'est donc pas en arrosant encore un peu plus le patronat qu'on créera de l'emploi pour les 2,5 millions de chômeurs officiels. Les gouvernements le savent bien, mais leur souci est de continuer à subventionner les actionnaires. Et l'obstacle, ce n'est pas le coût du travail, mais le coût... du patronat.