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Leur société
Incinérateurs d'ordures ménagères : Tant pis pour la santé publique
Une habitante d'Albertville en Savoie, qui vient de mourir d'un cancer du cerveau, avait porté plainte, il y a deux mois, avec 160 autres personnes, pour empoisonnement. Sont visés le maire, qui préside un syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères, le préfet et une filiale du groupe Suez-BNP-Paribas.
Les responsables de l'incinérateur d'ordures ménagères de Gilly-sur-Isère, situé aux portes d'Albertville, sont mis en cause. Dans la commune voisine de Grignon, 80 habitants sur 1800 sont atteints d'un cancer. Il est possible que l'augmentation hors de proportion des victimes de cette maladie soit liée à l'émission de dioxine par l'usine d'incinération.
En effet la concentration de dioxine dans le lait des troupeaux environnants est au moins cinq fois supérieure à la norme. Ce résultat, rendu public en octobre dernier, a conduit à fermer l'usine, à se débarrasser du lait et à abattre 80 % des troupeaux. Le ministère de la Santé a commandé une étude pour savoir si cette pollution est à l'origine du nombre très élevé de cancers dans la commune voisine. " Nous avons le sentiment d'avoir été exposés, comme irradiés ", commente un habitant.
Ce problème d'émission de dioxine par les incinérateurs d'ordures ménagères n'est pas nouveau. Un arrêté avait été pris, dès 1991, pour rendre obligatoire une procédure technique visant à la limiter. Néanmoins les exploitants bénéficiaient d'un confortable sursis pour se mettre en règle : presque cinq ans pour les incinérateurs de forte capacité, neuf ans pour les autres. Mais même ces délais n'ont pas été tenus. Dans l'agglomération d'Albertville, comme dans beaucoup d'autres, les élus avaient remis la gestion de leur incinérateur à une société privée, en l'occurrence SITA-Novergie, filiale de la Lyonnaise des Eaux, du groupe financier Suez-Paribas- BNP. Ce sont les préfets qui sont chargés de faire respecter la réglementation auprès des communes. Une mise en demeure du préfet en 1993 était restée sans suite, et les choses ont continué.
D'autres règlements sont venus fixer non plus seulement les moyens qui devaient être appliqués, mais une obligation de résultat sur les taux de dioxine. A Albertville, alors qu'un collectif d'associations réclamait des analyses depuis 1997, celles-ci n'ont eu lieu qu'à la fin de l'année dernière. Yves Cochet, alors ministre de l'Environnement, s'est résolu à demander la fermeture de l'usine de Gilly et à accélérer celle des incinérateurs du même type.
En avril dernier, SITA-Novergie a, de son côté, annoncé la fermeture de six incinérateurs, parmi lesquels une grosse unité au Havre, en s'efforçant de faire porter le chapeau à ses clients, c'est-à-dire les municipalités qui auraient " différé leur décision " de les mettre aux normes. Un maire de droite impliqué a répliqué : " Le groupe veut surtout ouvrir le parapluie et se dégager publiquement de toute responsabilité ".
Il est sans doute difficile de départager les torts entre une société intéressée à percevoir une rente de la part des collectivités locales (mais qui s'éclipse quand se pose un grave problème de santé publique), et celui d'élus qui confient volontiers un service public à une société irresponsable.
Des notables, à la tête d'une agglomération comme celle d'Albertville, aux ministres, aucun n'est choqué, quand ils ne sont pas ouvertement complices, du fait que l'argent public alimente les profits des groupes privés, sans que ceux-ci soient réellement contrôlés dans leur gestion. La population est en droit de demander des comptes tant aux élus qu'aux responsables d'une société qui se nourrit de l'argent des impôts, et qui, en fin de compte, les empoisonne au sens propre. Il est légitime aussi que les salariés refusent de se retrouver sans salaire, à la suite des fermetures prévues de plusieurs usines d'incinération.