La " nouvelle alliance " USA-Russie : L'ordre mondial, son gardien américain et son allié russe31/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1766.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

La " nouvelle alliance " USA-Russie : L'ordre mondial, son gardien américain et son allié russe

L'accord signé le 24 mai à Moscou entre les présidents américain et russe, et qualifié par eux de " nouvelle alliance " ou de " partenariat stratégique ", liquide-t-il - pour reprendre les termes des gazettes - les " vestiges de la guerre froide " ? En un sens en tout cas, puisque Poutine a reconnu que les Etats-Unis l'ont emporté dans cette guerre.

Cela, à vrai dire, ne date ni d'hier ni d'avant-hier. Car derrière le mythe des " deux superpuissances ", inventé et répandu par l'Occident pour les besoins de sa propagande, il y a longtemps que le rapport de force économique, politique et militaire entre les " deux grands " penchait, et ne pouvait sur ce terrain que pencher, en faveur des Etats-Unis, et plus largement du camp de la bourgeoisie impérialiste. La seule nouveauté de cet accord qui ne fait que sanctionner ce rapport de force en l'officialisant tient à ce que la Russie ne prétend même plus le contester en paroles.

Car si la déclaration conjointe Bush-Poutine ménage la susceptibilité de ce dernier en évoquant une " coopération " tous azimuts servant " les intérêts mutuels des Etats-Unis et de la Russie ", on ne peut que constater qu'elle est d'abord dictée par les intérêts de la première puissance économique et militaire de la planète. Et cela à tous les niveaux.

Les commentateurs ont souligné la décision des deux Etats de diviser par trois le nombre de leurs ogives nucléaires d'ici à 2012. Bien que le Sénat américain n'ait toujours pas ratifié un précédent accord de ce type (Start II, conclu en 1993), USA et Russie disent vouloir réduire aujourd'hui leurs arsenaux nucléaires. Mais chacun le ferait pour des raisons propres fort différentes : la Russie n'a même plus les moyens d'entretenir de telles armes ; les Etats-Unis veulent, eux, recycler une partie de leur armement nucléaire en le miniaturisant et dégager ainsi des fonds pour lancer de nouveaux programmes militaires dont un " bouclier spatial " antimissiles et, à plus long terme, un " arsenal spatial ".

Autant dire que cette prétendue réduction ne cache même pas, du côté américain, une relance de la course aux armements. Une relance que Bush justifie par le nouveau slogan de la " guerre contre le terrorisme " dont l'impérialisme américain couvre sa politique extérieure, slogan qui sert au moins autant, cette fois en matière intérieure, à couvrir un regain de subventions de l'Etat aux industriels de l'armement et, à travers eux, à de larges secteurs de la bourgeoisie américaine.

Bush et Poutine disent s'accorder pour mener la lutte contre le " terrorisme ", bien que, là encore, il existe entre eux pour le moins une énorme différence d'échelle.

Au nom de cet " objectif commun ", et sans que Bush fasse même mine de prendre la défense des Droits de l'homme, Poutine s'est vu solennellement reconnaître le droit de mener sa guerre en Tchétchénie pour tenter, par tous les moyens, d'y instaurer son ordre. En échange, si l'on peut dire car il n'avait guère le choix, il a dû prendre acte du fait que les Etats-Unis avaient, au moins militairement, pris pied dans un certain nombre d'anciennes républiques soviétiques.

Ce que Poutine présentait encore comme circonstanciel, après les attentats de New York du 11 septembre et l'offensive américaine contre l'Afghanistan, serait donc appelé à durer. Que ces ex-républiques soviétiques côtoient des zones de conflit (comme l'Ouzbékistan vis-à-vis de l'Afghanistan) ou qu'elles soient elles-mêmes en proie à des conflits depuis une dizaine d'années, voire en état de déliquescence avancée depuis la fin de l'Union soviétique (la Géorgie et l'Azerbaïdjan), ces pays se trouveraient donc au voisinage de l'" axe du mal " cher à Bush, qui va du Moyen-Orient à la Corée du Nord en passant par l'Afghanistan. Et donc soumis à un droit d'ingérence au moins militaire des Etats-Unis.

Ces pays ont surtout en commun de se trouver au coeur de régions stratégiques pour les Etats-Unis, car regorgeant de ressources pétrolières et gazières ou pouvant servir à leur transit vers les métropoles impérialistes, régions dans lesquelles la Russie s'est montrée incapable d'assurer même un semblant de stabilité depuis l'éclatement du pouvoir soviétique. Selon des modalités qui semblent tenir compte du fait que, depuis, ces pays ont été considérés par la Russie comme faisant partie de sa zone d'influence, les Etats-Unis mettent quelques formes pour tenter de s'y substituer à la Russie en tant que gardien de l'ordre mondial, comme on les a vus prendre la suite de l'URSS sur ce terrain en Afghanistan.

Mais le " partenariat " Russie-USA proclamé à Moscou ne fait pas que réorganiser les sphères d'influence respectives des Etats-Unis et de la Russie, au détriment de cette dernière, tout en ménageant les intérêts de l'Etat russe dans ce qu'il nomme son " étranger proche ", notamment sous la forme d'un partage de la rente pétrolière.

Il s'agit aussi pour les Etats-Unis de ne pas s'engager seuls, mais d'associer le plus possible la Russie, militairement et politiquement, à la tâche du maintien de l'ordre dans des zones en proie au pillage des clans au pouvoir, aux trafics d'armes, de drogue, aux conflits ethniques attisés par les seigneurs de guerre locaux sur fond d'oppression et d'appauvrissement dramatique des populations. Car, si d'une certaine façon la première puissance impérialiste de la planète n'a guère pu que constater l'incapacité de la Russie d'Eltsine, puis de Poutine à maintenir un ordre injuste et barbare dans ces régions, les Etats-Unis savent également que ces confins de l'ex-URSS transformés en barils de poudre au bord de l'explosion sont aussi parfois devenus des bourbiers sanglants pour la Russie. Alors, ils ne s'y engagent qu'à reculons, et tentent d'assurer leurs arrières en s'appuyant autant que faire se peut sur une Russie mal en point, et consacrée, faute de mieux, puissance régionale.

Partager