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Dans le monde
Inde : Derrière les pogromes, les manoeuvres criminelles du régime
Les pogromes antimusulmans qui ont éclaté le 27 février dans la plupart des villes de l'Etat du Gujarat, à l'ouest de l'Inde, auraient fait 572 victimes selon les autorités, dont plus de 400 dans la seule capitale, Ahmedabad. La plupart de ces victimes seraient musulmanes mais, selon la presse de gauche indienne, nombre d'entre elles auraient été tuées par la police agissant sous les ordres des autorités de l'Etat.
Le Gujarat est l'un des Etats les plus pauvres de l'Inde. La minorité musulmane, un peu plus importante que dans le reste du pays (22 % contre 13 % au plan national), y est concentrée dans les zones urbaines et en particulier dans certains quartiers de la capitale où elle constitue une fraction importante de la classe ouvrière. Le Gujarat est aussi l'un des rares Etats indiens où le BJP, le parti intégriste hindou qui dirige la coalition au pouvoir à l'échelle du pays, contrôle également tous les leviers de l'administration et de la police locales. Ce rôle dominant du BJP y teinte la vie politique depuis des années et fait de cet Etat l'un des terrains d'activité favoris du VHP (Conseil Mondial Hindou) l'organisation religieuse liée au BJP. En particulier c'est là que le VHP s'est livré à bien des reprises à des expériences de conversions forcées, et souvent sanglantes, contre des membres de minorités religieuses et ethniques.
Le point de départ de ces derniers pogromes aurait été une altercation entre les occupants d'un train bondé de supporters du VHP et des musulmans attendant sur le quai de la gare de Godhra, près de la capitale. Les insultes auraient dégénéré en affrontement et dans la bagarre le feu aurait éclaté dans le train, faisant 58 victimes parmi ses occupants. Le jour-même, des pogromes antimusulmans commençaient simultanément dans plusieurs villes de l'Etat, si simultanément que certains commentateurs ont cru y voir une opération préparée à l'avance.
Quoi qu'il en soit, il est certain que dès le début les autorités de l'Etat n'ont rien fait pour s'opposer aux pogromes. Après s'être tenues soigneusement hors du chemin des pogromistes dans un premier temps, les forces de police ont ensuite mis un zèle remarqué à appliquer les ordres - en tirant sans sommation pour imposer le couvre-feu décrété par les autorités de l'Etat. Mais, comme par hasard, ce couvre-feu ne concernait pour l'essentiel que des quartiers pauvres musulmans, ce qui n'a fait qu'augmenter le nombre des victimes dans la minorité musulmane. Quant aux autorités, elles n'ont pas caché dans quel camp elles se situaient, en déclarant sans vergogne que la réaction des pogromistes était bien compréhensible.
Cela dit, ces événements n'ont en fait rien de local. Ils se déroulent dans tout un contexte où le BJP cherche à consolider son pouvoir chancelant en recréant le climat d'hystérie religieuse antimusulmane qui lui avait si bien profité au début des années 1990. Et il faut rappeler qu'à l'époque les pogromes avaient fait plusieurs milliers de morts.
L'opération politicienne du BJP, relayée par le VHP, a commencé par la déclaration de la " drôle de guerre " contre le Pakistan en décembre dernier, à la suite d'un attentat contre le Parlement indien. Cette " drôle de guerre " n'est toujours pas terminée. Les armées sont toujours massées de part et d'autre de la frontière et les échanges d'artillerie continuent, sans que pour l'instant les choses aillent plus loin. Mais cette politique belliciste n'a pas eu l'effet escompté par les leaders du BJP. Au contraire, comme viennent de le montrer les scrutins qui se sont déroulés en février dans quatre Etats du pays, elle lui a coûté très cher puisqu'il a perdu la moitié de ses sièges dans l'un d'eux et 80 % dans un autre, ce qui laisse le BJP au pouvoir dans deux Etats seulement, contre treize pour le Parti du Congrès.
Du coup, le VHP a annoncé son intention de commencer à construire ce mois-ci un temple hindou près d'une mosquée historique, aujourd'hui détruite, qui fut au centre des pogromes de 1992. Pour cela il ne cesse de mobiliser pour des démonstrations de force sur les lieux du futur temple. C'est d'ailleurs d'une telle manifestation que revenaient les voyageurs du train incendié le 27 février. Et le langage belliqueux du VHP ne laisse aucun doute sur ses intentions. Ce n'est pas pour rien que ses militants ont été, aux côtés de la milice hindouiste RSS, l'organisation paramilitaire du BJP, au premier rang des pogromes dans le Gujarat.
C'est donc avant tout l'appétit de pouvoir des dirigeants du BJP que les victimes du Gujarat auront payé de leur vie. Et on peut craindre, malheureusement, que bien d'autres ne subissent le même sort dans les semaines qui viennent.