Des centaines de routiers tchèques, slovaques, roumains, bulgares, polonais ont convergé d'un peu partout en Europe vers le Luxembourg, siège de la société qui les emploie, le transporteur autrichien Kralowetz, qui ne les paie plus depuis deux mois.

Cette société faisait rouler des chauffeurs est-européens sans titre de travail ni de séjour, sans les déclarer non plus à la Sécurité sociale. Du coup, même leur nombre est difficile à préciser : il irait de 300, selon les autorités du Luxembourg, à 750, selon d'autres sources. Ils avaient des horaires démentiels (bien pires, et ce n'est pas peu dire, que ceux que les transporteurs considèrent comme " normaux ") car leur exploiteur les payait à la distance parcourue. Soit, pour 20 000 à 30 000 km par mois, une paye quatre à six fois inférieure à celle d'un chauffeur citoyen d'un pays ouest-européen ! Avec des salaires et des horaires pareils, ces forçats de la route se lavaient sur les parkings, dormaient et mangeaient dans leurs camions. Cela, au vu et au su de tous.

Alors, pourquoi le scandale n'éclate-t-il que maintenant ? Parce qu'un de leurs patrons a été arrêté et que des centaines de camionneurs rassemblés au Luxembourg ne pouvaient passer inaperçus ?

En tout cas, les autorités des huit pays de l'Union européenne où Kralowetz est installé ne voulaient rien voir, et encore moins y trouver à redire. Au contraire. Un syndicat luxembourgeois avait signalé les faits : le gouvernement autrichien avait alors réagi... en demandant qu'on laisse tranquille cette " société en pleine expansion " !

Le syndicat autrichien des transports affirme que " 80 % des chauffeurs employés par les compagnies (de ce pays) se trouveraient dans l'illégalité ". Mais il ne faut pas croire qu'on ne trouve des transporteurs négriers qu'à proximité de l'Europe centrale. Des " Kralowetz ", quelle que soit leur taille, on en rencontre un peu partout en Europe.

La Commission européenne de Bruxelles, en tout cas, en a rencontré, et y fait allusion (sans les nommer, et encore moins envisager de les poursuivre) dans le Livre blanc qu'elle a récemment publié sur la question des transports routiers en Europe. C'est qu'il s'agit d'entreprises " en pleine expansion ". Et, surtout, fort utiles à l'expansion des profits d'innombrables autres entreprises qui ont recours à leurs services.

Car il y a plus que de l'hypocrisie à montrer du doigt des exploiteurs sans crupules comme Kralowetz, et eux seuls, sans dire que, derrière eux, il y a tout un ensemble de " respectables " entreprises qui en profitent largement.