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- Lutte ouvrière n°1747
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Leur société
Les Mureaux (Yvelines) : - De la mort d'un jeune aux voitures brûlées
Après Strasbourg et Vitry, Les Mureaux ont fait la Une des rubriques "société" des médias au cours de la première semaine de l'année. Des voitures, là aussi, ont été brûlées par des jeunes des cités, 38 officiellement. Mais ces incendies de voitures ont fait suite à un fait tragique : un policier a tué d'une balle dans la tête un jeune des Mureaux, qui avait participé avec deux autres à une course-poursuite effrénée dans une voiture volée, pour échapper à la police, sur 50 km jusqu'à Paris. Après avoir passé plusieurs barrages de police, les jeunes ont été arrêtés sur le périphérique parisien, à la suite du tir qui a tué l'un des trois, un garçon de 17 ans.
Les Mureaux sont une banlieue située à trois quarts d'heure de train de Paris. Ses 31 000 habitants sont surtout concentrés dans les "quartiers", terme pudique utilisé par des sociologues et par des membres de la municipalité pour désigner les cités éloignées du centre et où vit la plus grande partie de la population ouvrière de la ville.
La montée du chômage
Au départ, petit village situé en bord de Seine, Les Mureaux ont grossi avec le développement, dès les années cinquante, de l'usine de Renault-Flins à proximité et, un peu plus loin, d'une autre usine automobile, Simca, devenue Talbot puis Peugeot.
Mais depuis 25 ans, les patrons de l'automobile ont réduit considérablement les effectifs ouvriers, tout d'abord sous prétexte d'automatisation, puis sous prétexte de réduction des coûts de production, puis sans prétexte du tout. L'usine de Flins, par exemple, est passée de 22 000 ouvriers en 1980 à 6 000 actuellement, tout en produisant plus de véhicules chaque jour. Les villageois marocains, maliens, sénégalais, mauritaniens, algériens, etc., que les patrons de l'automobile avaient fait venir il y a plusieurs décennies ont été logés - en principe pour une courte période - dans des barres ou des tours de la cité des Musiciens ou de la Vigne-Blanche aux Mureaux, ou au Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, quinze kilomètres plus loin.
Le chômage s'est installé, les tours et les barres se sont dégradées, malgré quelques coups de pinceau périodiques. Les familles ont tenté de vivre, avec un niveau de vie en baisse, loin de la gare, des commerces du centre-ville, des administrations, des loisirs. Dans les cités, le taux de chômage avoisine les 40 %.
De nombreuses petites entreprises industrielles ont fermé au cours des années, d'autres ont réduit leurs effectifs, comme c'est le cas dans toute la vallée de la Seine, de Poissy à Mantes-la-Jolie. L'industrie aéronautique est toujours présente aux Mureaux, mais ce sont essentiellement des techniciens et ingénieurs qui construisent une partie de la fusée Ariane, et là aussi les effectifs ont beaucoup fondu.
Nombreux sont les travailleurs qui ont cherché à s'installer dans des villages moins stressants, dans les environs, dès que le coût d'une petite maison individuelle leur était devenu accessible. En conséquence, seuls les plus pauvres sont restés ou sont arrivés dans les cités, ce qui a encore accru la concentration de chômeurs, l'absence de perspectives et souvent la démoralisation. La détérioration générale de la vie collective s'y ajoute et en découle. A la Vigne-Blanche, certains escaliers s'étaient transformés en lieux de stockage de pièces de voiture et, après avoir évité les ornières et les détritus devant l'entrée, il fallait faire attention à ne pas se prendre les pieds dans un vieux tuyau d'échappement avant de pouvoir ouvrir sa porte, réparée à plusieurs reprises après avoir été défoncée.
Police arrogante
Les jeunes (les moins de 20 ans représentent 40 % de la population) sont accueillis dans des collèges et lycées (dont un lycée professionnel), dont les résultats bien évidemment ne figurent pas en tête au palmarès du département. De toute façon, de nombreux adolescents préfèrent à l'école les copains de la cité. Certains passent parfois des rencontres dans les cages d'escalier aux bêtises qu'ils considèrent comme anodines, mais qui gâchent à la longue la vie de leurs voisins.
Autour de minuit, un 1er janvier, il n'y a plus de train pour aller à Paris, et "emprunter" une voiture est un "sport" fréquent. Cela précipite l'engrenage, du vol de la voiture à la course-poursuite avec la police à travers la banlieue parisienne, comme il est aisé de l'imaginer. Ce triste jeu de gendarmes-et-voleurs peut par définition trouver parfois une conclusion mortelle : ce qui a été le cas. Que les policiers agissent selon la logique du maintien de "l'ordre", au prix de la vie d'un garçon de 17 ans, ce n'est malheureusement pas la première fois. Saura-t-on d'ailleurs pourquoi le policier qui a tiré a visé l'homme et non les pneus de la voiture, et même s'il lui fallait absolument tirer ? Ce qui est sûr, c'est qu'il a été relâché sans la moindre mise en examen, sous prétexte de la "légitime défense".
Le choix rapide fait par le gouvernement entre l'opinion des policiers et autres représentants de "l'ordre" et celle des habitants des cités populaires, et pas seulement les jeunes, a révolté nombre d'entre eux. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela n'a pas calmé la situation dans la cité des Musiciens, bien au contraire. La sympathie des familles ne va pas aux forces de l'ordre, connues dans la ville pour leur arrogance envers les ouvriers et leurs enfants. Leur peu d'empressement à rendre service aux habitants s'est confirmé récemment lorsqu'une conductrice, venue signaler l'incendie de sa voiture, s'est entendu répondre en substance : "Si vous n'avez pas vu les incendiaires, on ne peut rien faire . Par contre, vous avez intérêt à faire enlever rapidement votre épave, vous en aurez pour 600 F".
Quelles perspectives pour les jeunes ?
Mais les réactions des adolescents qui ont mis le feu aux voitures de leurs voisins, des parents de leurs proches, le ras-le-bol que leurs attitudes agressives ont faire naître à la longue chez les habitants des cités, tout cela est à la base d'une exaspération bien compréhensible.
Parmi ces jeunes, les réactions les plus graves de violence stérile et individualiste sont le fait d'une minorité. Mais la majorité se solidarise avec ceux-là, soit passivement, soit plus activement lors de l'arrivée des policiers, souvent provocants, et au minimum maladroits.
Pourquoi ces jeunes n'ont-ils pas d'autre morale que celle de la solidarité avec leur groupe de copains, au sens étroit du terme, quelle que soit l'absurdité des actes perpétrés par la bande ? Un élément de réponse réside dans les valeurs que la société capitaliste leur fait miroiter : l'argent, la voiture symbole de réussite quand elle est rapide ou puissante, moyen d'échapper à la banlieue et de gagner la grande ville, lieu supposé de tous les plaisirs, les vêtements ou les objets de marques célèbres à force de publicité...
D'abord, parce que pour survivre, il faut appartenir à un groupe et que la bande de copains est pour eux le seul groupe proposé, en dehors de la famille. Ensuite, parce que tout leur montre que pour exister il faut être riche, et que pour être riche, rien ne sert d'être honnête et travailleur.
Dans l'immédiat, l'atmosphère se dégrade moins vite lorsque, dans un groupe d'immeubles, les familles se groupent pour exercer une pression, une surveillance collective sur les enfants. C'est parfois beaucoup attendre de mères et de pères qui par ailleurs vivent déjà des journées longues et pénibles. Il serait nécessaire aussi que le relais soit pris par la société de façon plus globale : locaux, activités, transports en commun, etc.
Plus généralement, il s'agit aussi de perspectives sociales, politiques, qui n'existent pas à l'horizon des jeunes des cités, ni souvent de leurs parents. Il faut souhaiter que la classe ouvrière, que le mouvement ouvrier, sachent redonner vie à des habitudes de solidarité, des habitudes de lutte, des attitudes de résistance collective contre la dégradation des conditions de travail et de vie. C'est cela seulement, c'est cette solidarité ouvrant en même temps la perspective de la lutte pour une autre société, qui peut, un jour, prendre le dessus sur les réflexes individualistes et destructeurs, comme l'a fait d'ailleurs le mouvement ouvrier dans le passé.