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- Lutte ouvrière n°1743
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Editorial
Si c'est le moment, allons-y !
Après les concessions faites aux gendarmes dans le week-end des 8 et 9 décembre, la presse s'est inquiétée : et si cela donnait l'idée aux autres couches de salariés de revendiquer à leur tour ? Eh bien, ce serait une bonne chose.
Après les policiers, les gendarmes étaient mécontents, et sont descendus le dire dans la rue, au mépris des règlements, puisqu'en tant que militaires ils n'ont pas le droit de grève. Même s'ils ne comptent pas parmi les salariés les plus défavorisés, leurs revendications, comme celles des policiers, étaient au moins en bonne partie fondées, non seulement sur le plan salarial, mais également en ce qui concerne leur dotation en équipement, telle que gilets pare-balles ou micro-ordinateurs. C'est que le gouvernement préfère employer ses fonds à faire des cadeaux aux grandes sociétés et qu'il a, vis-à-vis de ses policiers et de ses gendarmes, à peine plus de considération que vis-à-vis de simples travailleurs, c'est-à-dire très peu. Espérons que policiers et gendarmes s'en souviendront le jour où on les enverra réprimer une manifestation ouvrière, ou déloger des travailleurs qui occupent leur entreprise.
Mais vis-à-vis de la police et de la gendarmerie, le gouvernement a cédé vite. C'est que ce sont deux rouages de l'appareil d'Etat qui grinçaient, et que les classes dominantes ont absolument besoin de pouvoir compter sur cet appareil pour faire face à une éventuelle explosion sociale. Jospin a donc trouvé très vite de quoi donner en moyenne 12 000 F de plus par an à chaque gendarme, c'est-à-dire 1 000 F par mois.
L'autre aspect du problème qui inquiète la grande presse, c'est que si Jospin a cédé si vite, c'est sans doute aussi parce que nous sommes entrés de fait dans la campagne pour les élections présidentielle et législatives de 2002, et qu'il n'est pas bon, pour un candidat " probable " à l'Elysée, de laisser de telles manifestations se prolonger. Et les commentateurs de se demander si le fait d'avoir cédé si vite à la gendarmerie ne va pas entraîner des mouvements revendicatifs dans tout le secteur public, voire dans le privé.
Mais les gens qui posent le problème ainsi sont ceux qui se placent dans le camp du patronat. Car si les salariés, du privé comme du public, profitaient de cette période pré-électorale pour porter leurs problèmes sur la place publique, ils auraient bien raison. Depuis plus de quatre ans et demi que la gauche gouvernementale s'est fait élire avec les voix des travailleurs, qu'a-t-elle fait pour ceux-ci ? Le quotidien Le Parisien (Aujourd'hui) pouvait titrer le 10 décembre qu'il y avait " plus de six millions de pauvres en France " et que " 10 % des Français restent sous le seuil de la pauvreté ", non seulement des chômeurs, mais des travailleurs en activité, à cause de la précarité, des temps partiels imposés, des " petits boulots ". Quel bilan pour un gouvernement qui se prétend de gauche ! Depuis des mois, les plans sociaux (c'est-à-dire les plans de licenciements) succèdent aux suppressions d'emplois sans que le gouvernement fasse quoi que ce soit de concret pour s'y opposer (car ce n'est pas l'allongement des procédures, prévu par la loi de modernisation sociale, qui empêchera le grand patronat de licencier pour faire plus de profit). Et les salaires de tous les travailleurs qui ont eu la chance de conserver leur emploi perdent peu à peu leur pouvoir d'achat à cause de la hausse des prix.
Alors, si le gouvernement est plus sensible aux revendications sociales à l'approche des élections, tant mieux. Et profitons-en. Il n'y a pas de raison de laisser croire à Jospin qu'il peut mener la politique de la droite, et recueillir quand même l'assentiment des travailleurs. De toute manière, les 1 000 F de plus par mois que les gendarmes ont obtenus ne sont qu'une petite partie de ce qui manque sur la feuille de paie de la grande majorité des travailleurs. Et ce n'est qu'en montrant nous aussi, tous ensemble, notre détermination que nous pourrons avoir satisfaction.