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- Lutte ouvrière n°1743
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Il y a cinquante ans (1951) : En Tchécoslovaquie, l'affaire Slansky
Le 27 novembre 1951, Rudolf Slansky était arrêté à Prague, en Tchécoslovaquie. C'était le début du dernier des grands procès politiques de l'après-guerre dans les pays dits de " Démocratie populaire " où l'URSS avait pris pied en 1945. Le premier procès, celui de Rajk en Hongrie, avait eu des répliques en Bulgarie, Pologne, République Démocratique Allemande, Roumanie.
A chacun de ces procès, des groupes de hauts dirigeants de l'Etat et du parti étaient accusés d'espionnage au profit des Etats-Unis (et, quand ils étaient d'origine juive, accusés de " sionisme ", l'URSS ayant cessé de soutenir Israël comme elle l'avait fait au tout début de l'existence de cet Etat), avouaient les crimes les plus invraisemblables, étaient condamnés et exécutés. Dans chaque cas, on apprit par la suite que tout était faux, dans l'accusation comme dans les aveux.
A 50 ans, Rudolf Slansky avait un long passé de militant du PC tchécoslovaque. Longtemps militant clandestin, député en 1935, réfugié en URSS au début de la guerre mondiale, puis combattant dans les maquis slovaques, secrétaire général du parti de 1945 à la veille de son arrestation, ami de longue date de Gottwald, le " Staline tchécoslovaque " : c'était un stalinien de choc, un " moscovite " sans états d'âme.
C'est même lui qui lança dans son pays la chasse aux " titistes " et lança la première grande " affaire ", impliquant le ministre des Affaires étrangères, Clementis. " Il nous faut un Rajk tchécoslovaque ", aurait-il déclaré. Finalement ce fut lui qui fut choisi pour tenir le rôle du " Rajk tchécoslovaque ", sans doute à cause de son passé de résistant authentique et des amitiés qu'il avait conservées parmi les anciens partisans.
Brisé par les tortures et sans perspectives politiques autres que celles de ses bourreaux, Slansky avoua tout ce qu'on lui demanda d'avouer, comme les autres " traîtres ". Il est symptômatique que ceux qui survécurent à ces procès, une fois réhabilités, revinrent souvent au pouvoir pour mener une politique prosoviétique. Ce fut en particulier le cas de Kadar en Hongrie en 1956 et, en Tchécoslovaquie même, celui de Husak après le Printemps de Prague de 1968. Coaccusé de Slansky, Artur London refusa de tout avouer, lui. Il réussit pourtant à sauver sa vie et eut ensuite le loisir de décrire ce qu'il avait vécu dans le livre L'aveu. Mais il n'en devait pas moins rester toute sa vie un militant stalinien.
Dans ses souvenirs, la femme de Slansky rapporte ces phrases de son mari, juste après leur arrestation : " Je sais, c'est dur. Mais si le camarade Gottwald le sait, Staline le sait certainement aussi. Et nous devons pourtant le croire. " Ou encore : " Si Staline le dit, ce doit être vrai. " De là aux aveux, il n'y avait pas loin.
Le procès de Slansky se déroula en novembre 1952. Onze des accusés, dont Slansky et Clementis, furent condamnés à mort et exécutés. La mort de Staline, le 5 mars 1953, mit fin à la série des grands procès et interrompit l'instruction contre le " complot des blouses blanches " en Union soviétique.
Selon un calcul effectué en 1968, les purges auraient touché 136 000 personnes en Tchécoslovaquie, sur 14 millions d'habitants (presque 1 % !).
Les procès à grand spectacle comme celui de Slansky, supervisés de près par les services secrets de l'URSS, répondaient à une nécessité bien précise, dans les pays sous contrôle soviétique au début de la Guerre froide : éliminer des hommes qui, par leur poids personnel et leur passé, pouvaient incarner un jour des aspirations nationalistes - ce que l'on appelait alors le " titisme ". En même temps, la terreur visait à interdire toute révolte de la population contre les appareils d'Etat dictatoriaux installés et soutenus par l'Union soviétique.
Les méthodes des staliniens, dont les purges devinrent le symbole, allaient cependant, à long terme, s'avérer impuissantes à maintenir l'emprise soviétique sur les pays de l'Est européen. En revanche, elles allaient contribuer à démontrer combien les régimes qui y avaient été installés au lendemain de la guerre étaient l'antithèse du socialisme et du communisme dont ils se réclamaient. Malheureusement, ils allaient aussi contribuer, tout comme le régime stalinien en URSS, à discréditer ces idées dans une grande partie de la population et de la classe ouvrière, à commencer par celles des pays de l'Est.