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Afghanistan : La conférence de Bonn... ... et les réalités de la guerre
Le 27 novembre s'est enfin ouverte à Bonn la conférence d'où, dit-on, doit sortir un règlement politique pour l'Afghanistan - un régime capable de prendre la relève de celui des talibans et de mettre un terme aux deux décennies de guerre qui ont ravagé le pays. Voilà pour la théorie, parce que, pour ce qui est de la pratique, c'est une tout autre affaire.
Une conférence sous tutelle
Depuis qu'ils ont annoncé cette conférence, les leaders des pays impérialistes n'ont cessé de jurer leurs grands dieux qu'il s'agirait d'une affaire entre Afghans seulement : jamais au grand jamais l'impérialisme ne chercherait à y imposer ses diktats.
Mais la composition même des participants, fruit, on s'en doute, de laborieuses négociations dans les coulisses entre les Etats-Unis et les diverses puissances régionales, dont en particulier l'Iran et le Pakistan, est en elle-même tout un programme. Les vingt-huit présents comptent en effet onze délégués de l'Alliance du Nord, onze du " groupe de Rome "du poulain de Washington, l'ex-roi Zaher Shah, trois du " groupe de Chypre " (lié à l'Iran) et trois du " groupe de Peshawar " (des dignitaires pachtounes réfugiés de longue date au Pakistan, qui seraient à la fois partisans de Zaher Shah et soutenus par le dictateur pakistanais Musharraf).
Quant aux femmes, dont les dirigeants occidentaux avaient réclamé, paraît-il, la présence, elles ne sont qu'au nombre de trois - une pour l'Alliance du Nord et deux pour le groupe de Rome. Mais rien n'indique que les droits des femmes occupent une place importante dans l'ordre du jour.
Autant dire que l'impérialisme américain n'a nul besoin d'être physiquement présent à cette conférence pour y faire valoir ses vues. Zaher Shah se chargera de le faire pour lui grâce à la position dominante qu'il occupe d'entrée de jeu à la table des négociations avec l'appui (pour l'instant au moins) du groupe de Peshawar.
Bien sûr, cela signifie du même coup que les décisions de cette conférence, si tant est qu'elle en prenne, ont peu de chances d'avoir l'impact que l'on dit en Afghanistan. Car on voit mal comment un ex-roi chassé de la scène politique afghane il y a vingt-huit ans pourrait, même avec l'appui distant de la diplomatie, des dollars et même des bombardiers américains, imposer quoi que ce soit à l'Alliance du Nord qui est la seule à disposer sur le terrain de forces armées significatives.
De Bonn à la réalité sur le terrain
Il reste d'ailleurs bien des inconnues dépendant du déroulement futur des événements. A commencer par les choix futurs des nombreux chefs de guerre locaux qui ont lâché les talibans, au moins pour l'instant, et peuvent vouloir jouer leur propre jeu ou celui d'un tiers qui ne soit ni Zaher Shah ni l'Alliance du Nord.
Ainsi, par exemple, des deux leaders " historiques " à l'origine de l'intégrisme afghan dans les années 1970, l'un, Rabbani, est le porte-parole de l'Alliance du Nord. Mais l'autre, Hekmatyar, son rival de toujours, est derrière le groupe de Chypre soutenu par l'Iran. Or jusqu'en 1996, le parti d'Hekmatyar, le Hezbe-Islami, était le principal courant intégriste du pays et le seul à ne pas avoir une base uniquement ethnique. A l'époque la victoire des talibans dut beaucoup au ralliement des lieutenants d'Hekmatyar et, en particulier en terre pachtoune, de nombreux chefs de guerre locaux qui le soutenaient. Que va entraîner la désagrégation du régime taliban à laquelle on assiste depuis quelques semaines ? Les chefs de guerre qui ont choisi d'abandonner les talibans vont-ils se ranger derrière l'Alliance du Nord ? Ou bien vont-ils se tourner vers un Hekmatyar, lui permettant ainsi de retrouver les troupes qu'il a perdues et de se poser sur le terrain en rival de l'Alliance du Nord ? Seul l'avenir le dira.
Les objectifs de Washington
Et puis, surtout, malgré les communiqués de victoire répétés des leaders occidentaux, il est encore bien tôt pour vendre la peau de l'ours taliban. Combien de fois, par exemple, a-t-on annoncé officiellement la reddition de Kunduz avant que celle-ci soit effective ? Et puis ne découvre-t-on pas dans la presse, des semaines après la prise de Kaboul, que des combats continuent à être livrés à quelques dizaines de kilomètres de là autour de poches talibanes retranchées dans les montagnes ?
Cela fait des semaines que les dirigeants américains pilonnent Kandahar sans grand résultat. Le fait qu'ils en soient venus à déployer un millier de marines sur le terrain signifie-t-il qu'ils se préparent à donner l'assaut final ? Ou bien s'agit-il surtout de faire croire que les choses avancent plus vite que dans la réalité ? Il est difficile de le savoir. Mais ce que l'on sait, c'est que les talibans sont dans leur élément dans la région de Kandahar et qu'ils ont déjà occupé des positions retranchées dans les montagnes du Kush, d'où il pourrait être bien difficile de les déloger.
Alors, bien sûr, les dirigeants américains ne sont pas naïfs au point de croire qu'il suffit de piper les dés à la conférence de Bonn pour que la partie soit gagnée sur le terrain. Mais ce n'est pas non plus leur problème. En ce qui les concerne des régions entières d'Afghanistan peuvent bien continuer à être mises à feu et à sang par des bandes armées rivales, talibans ou autres. Ce qui compte pour Washington, c'est de pouvoir montrer à Kaboul un régime, dont l'autorité ne s'étendra peut-être que sur un mouchoir de poche, mais qui aura été mis en place par l'Occident pour remplacer les talibans, quitte à le protéger pendant un certain temps par quelques milliers de soldats des Nations unies.
Ainsi la démonstration aura été faite devant les populations des pays pauvres et aussi à l'opinion publique américaine, que l'on ne s'attaque pas impunément aux sanctuaires de l'impérialisme. Même si ceux qui ont déjà payé cette démonstration de leur vie et qui, demain, continueront à la payer en subissant le joug des bandes armées, n'étaient pour rien dans l'attentat de New York.