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Dans le monde
Afghanistan : Pendant que les USA cherchent une dictature docile, la population se fait massacrer
Les bombardements américains continuent sur l'Afghanistan. Tout au plus la population a-t-elle eu droit à un répit d'une journée pour se rendre à la prière le vendredi 12 octobre. Sans doute Bush n'a-t-il pas voulu risquer un massacre de fidèles en pleine prière et la levée de boucliers que cela n'aurait pas manqué de provoquer parmi les dictateurs plus ou moins islamistes dont il tient à conserver la caution.
Car ces dictateurs commencent à s'inquiéter de voir cette guerre devenir un puissant levier d'agitation pour les courants intégristes qui sont actifs dans leurs pays respectifs. Aussi les fissures sont-elles en train de se multiplier dans le "vaste front contre le terrorisme" dont le ministre des Affaires étrangères de Bush, Colin Powell, se vantait tant. Déjà la plupart des émirs pétroliers du Golfe ne faisaient guère étalage d'enthousiasme. Et voilà que l'Arabie Saoudite elle-même, ce pilier de l'impérialisme américain au Moyen-Orient, vient elle aussi de marquer ses distances. D'abord en éconduisant le Premier ministre britannique Tony Blair, lors de sa tournée des pays arabes, puis, le 15 octobre, en condamnant les bombardements en Afghanistan d'une façon quasi-officielle, par la voix de son ministre de l'Intérieur, le prince Naif.
Le même jour, alors qu'il recevait Colin Powell en visite officielle, c'était au tour du dictateur pakistanais, le général Musharraf, élément vital du dispositif régional des USA dans la guerre contre l'Afghanistan, de rappeler sans ambage à son visiteur qu'il ne souhaitait pas voir les bombardements se prolonger et qu'il allait falloir trouver rapidement une solution politique.
Seulement tout le problème est là - quelle solution politique ? Avec qui l'impérialisme peut-il traiter en Afghanistan ? Il ne suffit pas de sortir de son placard un ex-roi qui a passé près de trente ans en exil à Rome. Encore faut-il trouver des forces sur le terrain qui soient non seulement prêtes à soutenir cette opération, mais également capables de l'imposer, au besoin par les armes, aux autres factions armées et à la population.
Or malgré les communiqués de victoire de l'Alliance du Nord, annonçant la désertion d'unités entières des Taliban ou encore les spéculations de la presse sur les divisions qui existeraient parmi eux, force est de constater que, pour l'instant, rien n'indique que le régime des Taliban soit en train de se désagréger.
D'autant d'ailleurs que les dirigeants américains font preuve d'une certaine retenue à son égard. La presse s'est fait l'écho des protestations de l'Alliance du Nord reprochant aux USA de ne pas bombarder les positions des Taliban qui leur barrent la route de Kaboul. Certains journalistes ont également rapporté que l'aviation américaine aurait délibérément épargné la résidence protégée du leader des Taliban à Kandahar. Que ces informations soient fondées ou pas, il n'en demeure pas moins que les dirigeants américains ne peuvent pas se permettre d'écraser les Taliban sous leurs bombes s'ils veulent pouvoir les inclure dans une future solution politique, voire les laisser au pouvoir s'ils ne parviennent pas à en trouver une.
Les dirigeants américains ne se cachent d'ailleurs pas de vouloir inclure des Taliban dans leur jeu. Ils l'ont clairement fait savoir après les réunions organisées à Rome autour de l'ex-roi Zaher Shah.
Car à elle seule l'Alliance du Nord serait probablement incapable de constituer un régime stable. D'abord parce qu'il s'agit d'une combinaison aussi disparate qu'explosive de chefs de guerre ethniques et intégristes qui ne se sont alliés que parce que les Taliban avaient refusé de leur laisser la moindre parcelle de pouvoir. Ensuite parce que cette Alliance ne comporte qu'une représentation infime de l'ethnie Pashtoune, la plus importante minorité du pays.
Et puis, il y a d'autres considérations qui jouent qui, elles, dépassent très largement le cadre de l'Afghanistan. Par exemple le fait que les liens de l'Alliance du Nord avec l'Iran, par l'intermédiaire de sa composante chiite, le front Wahdat, la rende suspecte aux yeux des dirigeants américains. Ou encore le fait que ses liens avec l'Inde, qui a fourni des armes aux Tadjiks du défunt commandant Massoud depuis la victoire des Taliban, la rende inacceptable aux yeux des dirigeants pakistanais. Car dans cette affaire les rivalités des puissances régionales et les intérêts régionaux de l'impérialisme prennent aussi le pas sur ceux de la population.
Mais surtout, derrière l'hypocrisie de Bush présentant sa sale guerre comme une guerre pour la "démocratie", il y a la volonté de l'impérialisme de trouver un gendarme capable de maintenir ordre et stabilité politique, en particulier contre la population pauvre. Or cette capacité-là, c'est sur le terrain qu'elle se juge. Et, dans ce domaine, ce sont les Taliban qui se sont montrés jusqu'à présent les plus capables. Alors pour l'instant, Bush continue ses bombardements, en espérant que tout ou partie des Taliban choisiront de rentrer dans son jeu. Et en attendant, c'est la population pauvre qui se fait massacrer.