Afghanistan : Bush à la recherche d’une dictature de rechange05/10/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/10/une-1733.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : Bush à la recherche d’une dictature de rechange

Parmi les nombreux thèmes développés par Bush au cours de ces dernières semaines, pour appuyer ses menaces militaires contre l'Afghanistan, il y a celui de la "croisade pour la démocratie". Mais pour quelle démocratie ?

On en a eu un aperçu le 30 septembre. Un groupe de congressistes américains, accompagnés d'un envoyé spécial de l'ONU, s'est en effet rendu à Rome pour sortir des oubliettes un vieillard de 86 ans, l'ex- roi Zaher Shah, et lui offrir le rôle d'arbitre dans un règlement politique futur en Afghanistan.

C'est en 1973 que Zaher Shah dut fuir l'Afghanistan, après 40 ans de règne. Il venait d'être renversé par l'un de ses cousins et ancien Premier ministre, le prince Daoud. A l'époque, ce coup d'Etat et la proclamation de la République par Daoud, qui suivit, ne soulevèrent guère d'émoi dans la population. Sans doute Zaher Shah était-il, sur le papier au moins, un "monarque constitutionnel". Mais il avait fallu attendre la fin des années 1960 pour qu'une certaine opposition soit tolérée. Et surtout son règne avait été marqué par la corruption et le parasitisme d'une aristocratie aussi minuscule que rapace, qui monopolisait à son profit aussi bien le maigre revenu national que les subsides et prêts venus de l'extérieur, et en particulier d'URSS. Et sans doute le luxe dans lequel vivait le roi et la cour était-il devenu d'autant plus insupportable en 1973 que, suite à deux années de sécheresse, le pays connaissait alors une période de famine dramatique.

Voilà donc l'homme que les dirigeants américains voudraient aujourd'hui présenter comme le pivot possible d'un règlement "démocratique" en Afghanistan.

Mais le contenu des propositions de Zaher Shah est déjà en lui-même tout un programme. Sans doute n'ose-t-il pas suggérer le retour à la monarchie, ce qui ne serait sans doute pas très bien pris par ses partenaires, tous plus avides de pouvoir les uns que les autres. Néanmoins, il propose la convocation d'une "loya jirga", une assemblée de notables traditionnels, qui fixerait les formes du nouveau régime et en élirait le gouvernement.

Qu'importe si plus de 20 % de la population afghane est dispersée dans des camps de réfugiés en Iran ou au Pakistan. Qu'importe aussi si, après plus de vingt ans d'une guerre qui a poussé toute une partie de la population vers les villes, les vieux clans féodaux n'ont sans doute plus la même réalité sur le terrain. De toute façon, la préoccupation de Zaher Shah, de ses partenaires et de ses sponsors impérialistes, n'est pas de donner la parole à la population mais de donner au règlement qu'ils comptent lui imposer une apparence de légitimité.

D'ailleurs, tout aussi révélatrice est la composition du Conseil Suprême d'Unité Nationale mis en place sous la présidence de Zaher Shah. Pour l'instant, les seuls participants en sont les treize groupes formant l'Alliance du Nord, dont les forces n'ont jamais cessé de mener la lutte armée contre les taliban depuis leur entrée dans Kaboul, en 1996.

La nature politique de cette Alliance du Nord s'éclaircit lorsque l'on sait que son véritable titre est "Front Uni Islamique pour le Salut de l'Afghanistan". Les principales forces en sont des organisations intégristes comme la Société Islamique (tadjik sunnite), le Parti Wahdat (Hazara chiite) et le Parti Islamique Khalis (pachtoune sunnite), et une organisation islamique plus traditionnelle, le Mouvement National Islamique (ouzbèque sunnite). A ceux-là viennent s'ajouter d'autres groupes islamistes plus petits, intégristes ou plus traditionnels.

Quant aux hommes forts de ce front, ce sont en particulier les tadjik Rabbani et Massoud (frère cadet du commandant Massoud, qui lui a succédé après son assassinat dans un attentat suicide début septembre), l'Ouzbèque Dostom et l'Hazara Khalili. Ce sont les mêmes qui, de 1992 à 1996, se livrèrent une guerre sanglante pour le pouvoir (elle fit 30 000 morts dans la seule ville de Kaboul), ouvrant ainsi la voie aux taliban. Certains, d'ailleurs, changèrent de camp bien des fois, en particulier Dostom, qui aida les taliban à conquérir le centre du pays.

Qui plus est, Zaher Shah a exprimé le souhait (et sans doute est-ce celui des USA), qu'une partie des chefs de guerre taliban se joignent à son Conseil Suprême d'Unité Nationale, ce qui ne pourrait qu'accentuer son caractère réactionnaire.

Autant dire que si ce sont ces forces-là que l'impérialisme compte amener dans ses fourgons en Afghanistan, la population n'est pas près de sortir de son asservissement. Et surtout pas les femmes dont Bush prétend découvrir le calvaire après cinq ans d'un régime venu au pouvoir grâce aux subsides de la CIA. Car si l'interprétation de la loi islamique par l'Alliance du Nord est moins stricte, elle s'en tient quand même à cette loi.

Il n'est pas dit non plus que cette combinaison politique - alliance circonstancielle de seigneurs de la guerre prêts à user de l'arme ethnique pour satisfaire leur soif de pouvoir - mette un terme à la guerre civile que subit la population ni à l'instabilité politique de l'Afghanistan qui menace toute la région depuis dix ans.

Dans tous les cas, que cette opération réussisse (et à quel prix, car encore faut-il que les taliban acceptent ou soient contraints de laisser la place) ou qu'elle échoue, ce sera la population afghane qui en fera les frais.

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