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Dans le monde
Argentine : A l'heure de la crise économique, deux manifestants ouvriers tués
Depuis plusieurs mois, les conditions de vie des classes laborieuses argentines sont devenues très difficiles. Le chômage augmente. La monnaie a perdu de la valeur, entraînant un renchérissement de la vie. Il y a de nombreuses manifestations de travailleurs, de chômeurs, qui sont surtout organisés localement mais qui montrent leur colère par des marches de la faim, des manifestations sous les fenêtres des institutions ou en barrant les routes, ce qui entraîne immédiatement des affrontements avec la gendarmerie qui entend rétablir la circulation. Les affrontements ont parfois été violents. Il y a eu des morts. C'est à nouveau ce qui vient de se passer à General Mosconi, dans la province de Salta (au nord-ouest du pays, un secteur qui a déjà connu bien des affrontements ces dernières années), où deux manifestants, dont un adolescent, qui barraient avec d'autres la route 34, ont trouvé la mort le 17 juin.
La dégradation des conditions d'existence
Et dire qu'en envoyant 400 gendarmes pour dégager la route, le gouvernement radical de De la Rua avait prétendu "protéger la population". Pas ces deux-là, en tout cas. Les travailleurs qui barraient cette route espéraient faire entendre une modeste revendication, faire passer le tarif de l'heure de travail de 1,60 dollar à 2,50 dollars (19 F environ). Les autorités prétendent que ce ne sont pas les gendarmes qui ont tiré mais des "francs- tireurs". Pour les travailleurs du piquet qui barrait la route, les piqueteros comme on dit là-bas, il n'y a pas le moindre doute, ces "francs-tireurs" étaient des gendarmes en civil.
En arrière-fond de ces affrontements, de plus en plus courants, il y a la dégradation des conditions d'existence de la population argentine qui a de plus en plus de mal à s'en sortir. Et les récentes déclarations des gouvernants n'annoncent rien de bon, puisqu'ils viennent de reconnaître que l'Argentine est frappée par la récession. Les ventes d'automobiles ont chuté de 55 %, celles du textile de 20 % au cours de l'année écoulée.
En 1991, le ministre de l'Economie Cavallo, que l'actuel président radical De la Rua vient de ramener au gouvernail de l'économie argentine, avait mis en place un peso argentin arrimé au dollar américain. C'était le plan dit de "convertibilité" (1 dollar = 1 peso) censé ramener la stabilité monétaire. Pour accompagner ce plan, il y avait des mesures d'austérité : des privatisations forcenées et des coupes claires dans les dépenses budgétaires, qui ont pesé lourd sur la population.
Mais cela n'a pas permis le redressement escompté, car l'économie argentine n'est pas hors du monde. Elle a subi, à partir de 1999, les contre coups de la chute du réal brésilien, lui-même conséquence du krach financier qui, à partir de 1997, a ravagé le sud-est asiatique et une partie de l'Amérique latine.
Cavallo vient de mettre en place une mini- dévaluation. Il a décidé de donner un bonus de 8 % pour chaque dollar gagné à l'exportation. Cette prime sera financée par une ponction sur les importations qui seront renchéries d'autant. Outre qu'il n'est pas sûr que cela permette d'enrayer la dégringolade actuelle du peso, cela entraîne d'emblée un renchérissement du coût de la vie dont les classes laborieuses n'ont vraiment pas besoin.
La population n'est pas au bout de ses peines. Les gouvernants, qui doivent déjà assumer un renchérissement du service de la dette, lié aux emprunts qu'ils ont demandés au FMI, ce qui représente désormais 23 % du budget de l'Etat argentin contre "seulement" 10 % en 1997, ont également hypothéqué l'avenir pour disposer d'argent frais. Dans trois ans, il leur faudra en plus - en théorie mais peut-être pas en pratique - honorer un taux d'intérêt des obligations qu'ils ont émises qui doit passer de 7 % actuellement à 15 %. Du simple au double ! Ne plus payer ses dettes au FMI devient une mesure d'urgence, mais le gouvernement n'a évidemment pas la volonté politique de s'opposer à la finance internationale. Tout au contraire.
Vers une nouvelle dévaluation ?
La menace d'une nouvelle dévaluation, plus du tout "mini" cette fois, n'est pas pour autant écartée. La récente injection de 40 milliards de dollars dans les circuits financiers n'a pas stoppé la spéculation sur le peso. Cavallo navigue à vue pour conserver la confiance des investisseurs qui doutent que l'Etat argentin puisse passer ses différentes échéances financières ; une course d'obstacles qu'ils ont eux-mêmes mise en place. Etant entendu cependant qu'un retrait brusque des capitaux d'Argentine entraînerait sans doute un nouveau krach qui toucherait également les pays voisins, le Brésil entre autres.
Il est particulièrement choquant de lire, à cette occasion, les diagnostics que publient les établissements financiers. Bien que ces commentaires soient destinés aux dirigeants argentins, ils pourraient tout aussi bien être retournés à leurs auteurs, ces responsables du monde économique qui ont tout fait, ces dernières années, pour promouvoir le "tout financier" et oublié que l'important pour la communauté humaine c'est tout de même les biens réels qu'on produit. Qu'on en juge à travers ces lignes : "L'Argentine paie aujourd'hui le prix d'un modèle qui a privilégié la rente financière au détriment de la sphère productive. En nous privant de la politique monétaire et budgétaire, le gouvernement n'a joué que sur une seule variable d'ajustement : la flexibilité du travail et des salaires. Avec le résultat qu'on sait : une chute du pouvoir d'achat."
Le résultat est là. Le chômage atteint officiellement les 17 %, ce qui signifie qu'en réalité il doit se situer bien au-dessus (30 % ?) puisque, par ailleurs, on admet non moins officiellement que le travail précaire touche 20 % de la population ! Mais, si l'économie argentine est secouée aujourd'hui par la récession qui menace l'économie mondiale, l'essentiel du poids des sacrifices repose sur les épaules de la population pauvre, sur le monde du travail. En effet, au cours des vingt années écoulées, en gros depuis la fin de la dictature, les 10 % plus riches, qui gagnaient alors douze fois plus que les 10 % les plus pauvres, gagnent aujourd'hui vingt-six fois plus !
Et quand cela va si formidablement bien pour les riches, cela ne peut aller en proportion que beaucoup plus mal pour les classes pauvres, qui doivent se débattre pour survivre, parfois sans salaire ou avec un salaire ou une retraite payés en retard, sans même souvent un logement décent. Les bidonvilles se multiplient dans la province de Buenos Aires, tandis qu'au coeur même de la capitale apparaissent les logements de fortune - sous les échangeurs d'autoroutes par exemple - près des quartiers les plus déshérités.
Et quand les travailleurs sans travail ou sous-payés, les ménagères qui n'ont plus de quoi faire des courses, poussés à bout, se révoltent en barrant des routes pour faire entendre leur colère, le gouvernement, qui n'a déjà guère d'arguments quand il discute avec les représentants de la finance impérialiste, réserve à son peuple les coups et à l'occasion la mitraille.