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Leur société
Alcatel : Tchuruk veut se debarrasser des ouvriers et garder les profits
La direction d'Alcatel, annonçant son intention de se débarrasser de la plupart de ses usines, a fait grand bruit. Et pour cause. Car l'annonce de son PDG Tchuruk avait pour objectif de frapper, sinon l'opinion en général, du moins celle des boursicoteurs de tout poil. Et d'ailleurs, "les Bourses" ont réagi à la hausse à cette déclaration.
Depuis le début de l'année, les ventes de téléphones mobiles assemblés dans les usines d'Alcatel ou de ses concurrents sont en chute libre. Les actions ont suivi la même pente descendante : 60 % en moins pour celles d'Alcatel, 45 % de baisse pour Nokia, et des résultats du même ordre pour tous les autres. Les grands de la téléphonie taillent donc dans les effectifs en combinant deux méthodes : les licenciements purs et simples et la cession d'usines à des sous-traitants. Le premier groupe mondial du secteur, le canadien Nortel, a ainsi annoncé il y a une quinzaine de jours son intention d'ajouter 10 000 suppressions d'emplois aux 20 000 qu'il a effectuées depuis le début de l'année. Et dans les autres grandes sociétés, comme Motorola ou Lucent, les réductions d'effectifs se chiffrent également par dizaines de milliers.
Dans le même temps, ces groupes ont entrepris de se débarrasser de leurs usines d'assemblage au profit de sous-traitants, pour ne conserver que les activités de recherche et de commercialisation. C'est la voie qu'a choisie Tchuruk, et il n'innove guère. Certaines sociétés, bien avant le retournement de tendance, se sont quasiment construites sur ce modèle. Ainsi Cisco, sur une vingtaine d'usines d'où sort son matériel téléphonique, n'en possède que deux. Cela lui permet d'afficher des comptes à faire rêver Alcatel. Les capitaux, qui ne sont pas immobilisés sous forme de machines ou de bâtiments, peuvent se porter en permanence là où le profit est maximum. Et pour le reste, il suffit de passer des commandes en mettant en concurrence les sous-traitants, et en leur faisant supporter les aléas du marché. Ce système est répandu dans bien des secteurs. Nike par exemple, n'est qu'un nom de marque et beaucoup de capitaux. Quant à la fabrication des chaussures, c'est l'affaire des sous-traitants asiatiques, sur les pratiques desquels on jette un voile pudique. Cette organisation, où quelques grands trusts bénéficiant d'une position dominante se réservent les activités à forte rentabilité et laissent à des sous-traitants les aléas de la production au jour le jour, est vieille comme le capitalisme.
Dans une période où la tendance se retourne et où les ventes diminuent, alors qu'on tablait la veille encore sur une augmentation de près de 30 % par an, cela présente un autre avantage. Ce sont les sous-traitants qui ont à assumer la responsabilité des mesures de licenciement. Dans le secteur électronique, ce sont de grands groupes industriels. Solectron a annoncé en mars dernier 8 200 licenciements, un dixième de ses effectifs dans le monde, puis il y a une quinzaine de jours 12 600 nouvelles suppressions d'emplois. Flextronics, auquel Alcatel avait déjà vendu son usine de Laval, est en train de supprimer 7 000 emplois aux USA. Depuis le début de l'année, ces groupes ont engagé un vaste troc avec les grands de la téléphonie, leur rachetant leurs usines après avoir fait baisser les prix au maximum. A chaque vente réussie, l'action de la société qui réussit à se débarrasser d'une usine remonte un petit peu, exactement comme lorsqu'elle annonce des licenciements. Ces groupes géants de la sous-traitance, qui achètent d'une main des usines à bas prix, ont tous engagé de l'autre des plans de réductions d'effectifs massifs. C'est leur manière à eux de dégager des profits, en attendant une éventuelle reprise des ventes.
Que ce soit en licenciant ou en sous-traitant, le calcul de Tchuruk et de ses compères reste le même : se débarrasser des travailleurs qui ont assuré la fortune des actionnaires d'Alcatel pendant les années d'euphorie de la "haute technologie", pour réserver leurs capitaux à ce qui est désormais plus rentable.
Cette logique irrationnelle par rapport aux intérêts de la collectivité n'a pas sa justification. Elle doit céder la place à une société non pas sans usines, mais sans Tchuruk et, de façon plus générale, sans patrons.