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Dans les entreprises
Ouverture du capital de la Snecma : Encore un cadeau du gouvernement socialiste au capital privé
Le 24 juin dernier, jour de clôture du salon du Bourget, le Premier ministre Lionel Jospin a annoncé l'ouverture au capital privé de la Snecma, entreprise publique fabriquant des moteurs d'avions. Jusqu'à présent son capital est détenu à plus de 97 % par l'Etat mais un quart du capital de l'entreprise devrait donc être offert aux appétits des financiers, puisque Jospin entend privatiser cette entreprise publique prospère, au chiffre d'affaires en hausse et aux carnets de commandes pleins.
L'annonce de la privatisation n'a pas surpris les salariés des différentes usines du groupe. La Snecma est la dernière entreprise industrielle encore publique de la liste des vingt-deux entreprises privatisables établie par le gouvernement Balladur, voilà bientôt dix ans, et jamais remise en cause par Jospin.
Les intérêts des actionnaires avant tout
L'argumentation du gouvernement et de la direction consiste à dire qu'il faut privatiser la Snecma pour lui permettre de tirer son épingle du jeu sur le marché mondial, de nouer des alliances avec le privé, afin de faire face aux regroupements actuels dans le secteur de l'aéronautique. Pourtant, pour nouer des alliances avec d'autres groupes industriels, il n'y a pas eu besoin de privatiser. La situation actuelle d'alliance de la Snecma avec General Electric pour la construction d'un moteur commun, le CFM 56, l'un des moteurs d'avions civils les plus vendus dans le monde, en est l'exemple même. Ce type d'alliances, nombreuses et tout azimut, existe depuis plusieurs années déjà.
En fait, avec cette ouverture du capital de la Snecma, le gouvernement et la direction générale affichent clairement leurs objectifs : dégager encore plus de profit, en faire bénéficier les grands groupes financiers privés et les actionnaires potentiels. Et cela est possible parce que le motoriste français, quatrième au rang mondial, second en Europe, ne s'est jamais aussi bien porté. L'an dernier ses bénéfices ont dépassé les 2 milliards, soit une hausse de 23 % par rapport à 1999.
Dans ces fusions, restructurations ou privatisations, seul compte le profit des actionnaires et leurs exigences de rentabilité financière. Demain les actionnaires Snecma comme ceux de Danone, Marks & Spencer ou AOM, risquent de demander un retour sur investissement plus important, ce qui signifiera probablement l'annonce d'une nouvelle série de licenciements si l'on en juge par ce qui se passe aujourd'hui pour l'Aérospatiale : EADS, récemment privatisé, annonce 3 000 suppressions d'emplois et la fermeture de nombreuses entreprises. A la Snecma, où les suppressions d'emplois n'ont jamais vraiment cessé ces dernières années, même si cela a été en partie masqué par l'arrivée de salariés issus de rachats successifs d'autres entreprises de l'aéronautique, on peut craindre que de semblables "restructurations" se profilent avec la privatisation qui commence.
Des confédérations syndicales complices
Au sein du groupe, la position des sections syndicales d'une même confédération varie d'une usine à l'autre, tandis que les prises de position d'un même syndicat sont parfois interprétées par les salariés de façon très différente.
La CGC à l'usine de Corbeil, avant l'annonce de Jospin, craignait que les salariés ne soutiennent pas les projets du gouvernement, faute d'être associés à la décision, ainsi qu'elle l'exprime dans ses tracts : "Pour que la privatisation soit une réusite, il faut impérativement que le projet soit compris par une grande majorité du personnel". Pas question de s'opposer à une distribution d'actions aux salariés, supposée être bien vue par un public de cadres.
Toute minoritaire qu'elle soit, la CFTC redoutait que, paralysé par l'approche des élections de 2002, le gouvernement ne repousse, une nouvelle fois, l'annonce de la privatisation. Au nom "des règles mondiales en matière de commerce, l'ouverture du capital devient inévitable", écrit la CFTC et elle promet donc "de soutenir la stratégie mise en oeuvre (...) pour permettre à la Snecma et à ses salariés de faire face à la concurrence mondiale".
Si les sections syndicales CFDT des usines Snecma de Villaroche et de Gennevilliers se sont prononcées clairement contre la privatisation, la section CFDT de Corbeil est, en revanche, partisane de l'ouverture du capital à l'instar de la confédération. Pour la CFDT de Corbeil, l'ennemi, ce n'est pas le patron, le PDG Béchat... mais "le riche retraité américain au bord de la piscine en Floride" qui pourrait, par l'intermédiaire des fonds de pension et grâce à l'introduction en Bourse de la Snecma, entrer dans le capital de la société. C'est pourquoi la CFDT de l'usine de Corbeil affirme que la privatisation "doit être justifiée par un projet industriel précis". Hélas pour elle, le gouvernement socialiste vient de faire le choix inverse : la cotation en Bourse du titre Snecma au lieu de l'alliance avec l'un ou l'autre des industriels européens du secteur !
Une opposition à géométrie variable
La CGT dénonce de façon diversifiée une privatisation... dont Jean-Claude Gayssot, ministre PCF des Transports, est l'un des principaux artisans. En 1996, lorsque la direction avait reparlé de la privatisation éventuelle de la Snecma, la CGT s'était déclarée hostile au projet. Aujourd'hui que celui-ci entre dans les faits, sa position a perdu de son mordant. Certains dirigeants de la CGT au nom d'une prétendue approche "réaliste", "non dogmatique de la question", ne veulent pas faire de vagues ni risquer de gêner le gouvernement Jospin. Ainsi, les administrateurs CGT du groupe Snecma ont bien envoyé une lettre ouverte à Jospin pour affirmer leur opposition à la privatisation, mais critiquant surtout une décision "prise sans aucune concertation avec les premiers intéressés, les salariés et leurs instances représentatives".
Certes, dans certains centres comme celui de Villaroche, le rassemblement des militants à l'occasion de la conférence de presse organisée par la CGT du groupe au dernier Salon du Bourget, a été interprétée par des salariés comme un premier pas dans l'expression de l'opposition à la privatisation. Mais jusqu'à présent, rien n'a été fait pour mobiliser les salariés du groupe. Aussi entendait-on, au même moment, dans les ateliers de l'usine de Corbeil cette fois, des réflexions comme "on aurait dû, au minimum, manifester au Salon du Bourget". Il n'est d'ailleurs pas exclu que, face au mécontement croissant des salariés au fur et à mesure que les effets de la privatisation se feront sentir à leurs dépens, la CGT ne durcisse le ton à l'égard du patron et du gouvernement.
C'est pourtant dès aujourd'hui que l'inquiétude des salariés est grande, même s'il est difficile de savoir ce qui va changer dans les mois qui viennent.
Dans toutes les usines du groupe Snecma, dans les bureaux et les ateliers, la direction parle de la bonne santé industrielle et financière de l'entreprise qui rend le moment propice à l'ouverture du capital. Justement, ce serait peut-être aussi le moment propice, pour tous les salariés de toutes les usines Snecma, de faire entendre leurs revendications, et en particulier celle qui consiste à ne pas vouloir faire les frais des projets que gouvernement et patron mijotent.