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- Lutte ouvrière n°1718
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Le vote des "pouvoirs spéciaux" en 1956 selon Roland Leroy : Une "erreur" ou une politique ?
Sous le titre "L'erreur des pouvoirs spéciaux" L'Humanité du 8 juin a publié un long entretien avec Roland Leroy, qui fut l'un des dirigeants haut placés du PCF dans les années 1970 jusqu'en 1994, et qui fut le directeur de L'Humanité. Ces "pouvoirs spéciaux", ce furent ceux que Guy Mollet, dirigeant socialiste qui venait d'être désigné à la tête d'un gouvernement qui avait promis de "faire la paix en Algérie", réclama pour, disait- il, mettre un terme à cette guerre - qui n'avouait pas son nom, la guerre que l'impérialisme français menait contre le peuple algérien.
Guy Mollet obtint ces pouvoirs spéciaux, et en usa pour accentuer la guerre. Le PCF, qui avait alors recueilli 25,9 % des suffrages et avait 150 députés à l'Assemblée nationale, avait voté ces pouvoirs spéciaux, bien que le gouvernement socialiste, allié au groupe du gaulliste Chaban-Delmas, allié aussi au groupe de Mitterrand, qui n'avait pas encore mis la main sur le Parti Socialiste, ait déclaré qu'il ne voulait ni d'une alliance ni d'une entente avec le PCF.
"Nous étions conscients, dit aujourd hui Roland Leroy, que le Parti Socialiste était en train d'amorcer une politique d'alliance avec la droite, mais nous pensions que notre vote freinerait considérablement ce processus : dans la réalité, cela n'a pas été le cas, nous nous sommes trompés". Trompés, vraiment ? Comme si les Guy mollet, les Mendès-France et autres participants à cette majorité gouvernementale prétendument de gauche avaient, ne serait-ce que la réputation, rien que la réputation, d'être des champions de l'anticolonialisme ? Comme s'il n'était pas prévisible que ces dirigeants politiques n'oseraient pas affronter la fraction la plus réactionnaire de l'opinion, celle des colons en Algérie, mais aussi le corps des officiers qui voulait mener la guerre à sa guise, dans la tradition des coloniaux de sinistre réputation ? Nul besoin d'être un expert en politique. Il suffisait d'un peu de mémoire, et les dirigeants du PCF n'en manquaient pas, pour avoir été témoin, voir coorganisateurs d'expéditions coloniales, dix ans plus tôt, en Algérie, en Indochine, à Madagascar avec ces mêmes socialistes. Ils ne pouvaient ignorer que Mitterrand avait fait carrière sur la base d'un anticommunisme ouvert, que Guy Mollet lui-même avait déclaré que "le PCF n'était pas à gauche, mais à l'Est".
En fait d'erreur, c'était un choix politique. Nullement un accident de parcours. Roland Leroy le précise au cours du même entretien. "Notre stratégie politique consistait en la recherche d'une alliance politique avec le Parti socialiste. Au fond la tactique électorale, politique et parlementaire était élevée au rang de stratégie". C'était déjà l'idée du programme commun. Une idée qui parcourt l'histoire du PCF, et qui l'inspirera en 1965 lorsqu'il se ralliera, du jour au lendemain, sans même en prévenir ses militants, à la candidature de François Mitterrand à l'élection présidentielle, qui se traduira par la signature du Programme commun en 1972, par l'entrée au gouvernement Mauroy en 1981, et ensuite dans celui de Jospin en 1997.
Décidément, la repentance, sur le tard, devient de mode. Mais en politique, pas plus qu'ailleurs, faute avouée... 45 ans plus tard... n'est pas pardonnable, même à moitié, en dépit de ce que dit l'adage. D'autant que ceux qui ont payé cette erreur, ce ne sont pas tant leurs auteurs que ceux qui leur ont fait confiance.
Cet entretien est-il simplement, de la part de Roland Leroy, le retour sur un passé dont il a été un des acteurs, ou plutôt un pavé dans la mare des dirigeants actuels du PCF, une manière du même coup de faire allusion au passé peu glorieux des responsables socialistes ? Quelles que soient ses intentions, ce rappel a au moins le mérite de montrer que la succession des erreurs des dirigeants du PCF, de Thorez à Hue, en passant par Marchais, a mené le PCF... dans le mur, et avec lui ses militants, ses sympathisants, ceux qui voyaient en lui un parti représentant les intérêts du monde du travail. Ce sont eux qui ont payé. Mais cette conclusion-là, Roland Leroy se garde bien de la faire.