Italie : Le gouvernement Berlusconi - les ministres du patronat08/06/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/06/une-1718.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : Le gouvernement Berlusconi - les ministres du patronat

Le 10 juin, un mois après les élections qui ont vu la victoire de sa coalition dite "maison des libertés", le magnat italien de l'audiovisuel Silvio Berlusconi est parvenu à former son gouvernement. Mais à en juger par la composition de celui-ci, la "liberté" de la maison Italie sera surtout celle... du patronat.

Il y a d'abord Berlusconi lui-même, entrepreneur à qui sa réussite dans l'immobilier a servi de tremplin pour conquérir des chaînes de télévision et qui, chaque fois qu'on lui reproche cette domination sur des moyens d'information qui l'aident à "faire l'opinion", s'insurge en dénonçant une insupportable atteinte à la liberté de l'entrepreneur de faire ce qu'il veut de son argent.

Mais Berlusconi a aussi su donner des gages à ses pairs du patronat italien, dont l'inquiétude à son égard était qu'il risque de s'occuper trop de ses propres intérêts et d'oublier les leurs.

On trouve donc au sein de son équipe quelques représentants attitrés de ce "monde des entreprises" qui, en Italie comme en France, a droit à toutes les attentions des gouvernements et ne s'en plaint pas moins en permanence d'être négligé.

C'est d'abord le cas du ministre des Affaires étrangères, Renato Ruggiero qui, avant d'être celui de l'Italie, a été celui de la Fiat, et aussi ministre du Commerce de quelques gouvernements précédents. Il a été également directeur général de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, et est devenu récemment vice-président de la Rizzoli-Corriere della Sera, société par l'intermédiaire de laquelle le groupe Fiat est présent dans le monde de l'édition et contrôle un des plus grands quotidiens, le Corriere della Sera. On ne pourra donc pas reprocher à Berlusconi de réserver le gouvernement à son seul groupe audiovisuel.

On peut mentionner aussi Letizia Moratti qui, venue du secteur patronal des assurances, a ensuite sévi à la tête de la Rai (la radio-télévision d'Etat). Aujourd'hui à la tête de sociétés du secteur des télécommunications, elle devient ministre de l'Education nationale... Et puis il y a Stefania Prestigiacomo, sicilienne et, paraît-il, enfant prodige puisqu'à 23 ans elle était déjà présidente de l'association des "jeunes entrepreneurs" de sa ville, Syracuse. Elle sera ministre à "l'Égalité des chances"...

Enfin il y a comme ministre de l'Économie un certain Giulio Tremonti, professeur d'économie fiscale qui gère, paraît-il, un des cabinets fiscaux les plus prospères du pays : un revenu annuel de 2 milliards et demi d'euros. Un pareil conseiller en évasion fiscale au ministère de l'Économie, c'est déjà tout un programme...

Bien sûr il y a aussi dans le gouvernement Berlusconi des représentants plus spécifiquement politiques de sa coalition. Même si le parti de Berlusconi, Forza Italia, a la plus grande part, il a quand même dû céder la vice-présidence du Conseil à Gianfranco Fini, le président d'Alliance Nationale, un homme qui il n'y a pas si longtemps défilait le bras tendu à la romaine dans les manifestations du parti fasciste, le MSI (Mouvement Social Italien).

Bien sûr, Fini a aussi été l'homme qui, à la tête dudit parti fasciste, a su proclamer qu'il était temps de se normaliser et de devenir un parti respectable, Alliance Nationale, participant aux gouvernements. Il se déclare donc maintenant "post-fasciste", ce qui signifie si l'on comprend bien qu'il n'a pas renié ses idées passées, mais trouve seulement qu'il n'est plus opportun d'en faire état. De toute façon, personne ne lui a demandé d'en faire plus puisque, dans le monde politique italien, y compris à gauche, chacun s'est empressé de lui décerner un brevet de respectabilité démocratique.

Et puis on trouve comme "ministre des Réformes" nul autre qu'Umberto Bossi, le leader de la Ligue du Nord qui, il n'y a pas longtemps, se déclarait prêt à prendre le maquis pour l'indépendance de la Padanie, c'est-à-dire pour déclarer la sécession du Nord riche d'avec le Sud pauvre pour lequel il ne veut plus payer. Bossi est aussi un spécialiste en déclarations xénophobes ou racistes, en proclamations contre l'immigration ou même contre les Méridionaux d'Italie, priés par lui de rester dans leur région. Les "réformes" dont il va s'occuper, cela signifie entre autres le fédéralisme et une décentralisation telle que les bourgeois des régions riches puissent garder et gérer plus directement leur argent...

Ainsi constitué, le gouvernement Berlusconi a reçu une caution qui n'est pas négligeable : celle du patron de Fiat Giovanni Agnelli, qui est aussi sénateur à vie de la très démocratique République italienne et qui mériterait même d'en être appelé le roi non couronné, tant les finances de l'État italien savent le soutenir amicalement. Agnelli a déclaré que les conditions sont réunies "pour que ce gouvernement soit plus solide que ses prédécesseurs". Il a ajouté à propos de Renato Ruggiero que "ce n'est pas un homme de la Fiat". Il faut croire que la précision s'imposait...

Voilà en tout cas un gouvernement qui annonce la couleur ; ramassis d'hommes d'affaires véreux, de fascistes mal défascistisés et de démagogues sans scrupules, il sera au service du patronat et saura se faire son interprête le plus direct.

Il est vrai qu'en fait c'était déjà le cas avec le précédent gouvernement, dit de centre-gauche, dans lequel les dirigeants de l'ex PC italien devenus "démocrates de gauche" (DS) étaient depuis des années les chantres du marché, des privatisations et des droits du grand capital. Berlusconi ne fera au fond que continuer leur oeuvre, plus ouvertement seulement : en matière de salaires, de libéralisation des licenciements, de précarisation de l'emploi, de privatisations, d'attaques contre les retraites, mais aussi contre l'école publique, la tâche a été largement avancée par ces gouvernements dits de gauche. Ajoutons que le droit à l'avortement est aussi en ligne de mire de quelques catholiques intégristes présents dans l'équipe Berlusconi.

Alors, le gouvernement du magnat Berlusconi ne trouvera guère d'opposition dans cette gauche qui, fondamentalement, est d'accord avec lui sur ses projets. En revanche il est à souhaiter que les travailleurs italiens retrouvent rapidement le chemin de la lutte pour défendre directement leurs intérêts, avec leurs moyens de classe. La belle "stabilité" promise à Berlusconi par Agnelli aurait alors vite fait de tomber en pièces.

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