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Dans les entreprises
Bata - Moussey (Moselle) : Le cynisme d'un patron licencieur
C'était bien ficelé : 2 juillet, fermeture du dépôt alimentant les magasins Bata. Le 16, dépôt de bilan. Le 18, nomination d'un administrateur judiciaire et le 20 départ en congés des travailleurs... La direction avait tout prévu, de longue date, pour déposer le bilan de l'usine Bata de Moussey (875 travailleurs) avec le moins possible de vagues sociales. Mais mercredi 6 juin, les syndicats recevaient un courrier anonyme, posté de la boîte à lettres de l'usine, révélant ce plan secret alors que la direction répétait depuis des mois qu'aucun plan social n'était en vue. Cela a mis le feu aux poudres.
L'écoeurement, la colère, les larmes... L'annonce officielle que Bata déposerait le bilan sans doute d'ici la fin du mois a créé un choc même si tout le monde pressentait qu'il se préparait un sale coup. Et d'ailleurs la facilité avec laquelle la direction avait lâché 3 % d'augmentation au bout d'une journée de grève en mai (LO n°1716) avait paradoxalement renforcé l'inquiétude pour l'avenir.
Depuis des mois, face aux rumeurs insistantes de licenciements, voire de fermeture de l'usine, la direction opposait un démenti formel. Le PDG, Longford, avait déclaré en début d'année que, s'il y avait un plan social, il démissionnerait. Alors, quand il a démissionné en mai, cela a été l'inquiétude que n'a pas dissipé le nouveau démenti qui a suivi.
"On nous a pris pour des c..." affirme un ouvrier résumant le sentiment général. Il a passé 30 ans sur les chaînes de production mais gagne toujours le SMIC (comme les trois quarts du personnel de l'entreprise).
Une prime pour licencier au moindre coût
Il a donc fallu le courrier anonyme d'un cadre, visiblement bien placé mais écoeuré par ce qui se tramait, pour que l'ensemble du personnel apprenne que la direction prévoyait de longue date la fermeture totale du site qui aurait dû être effective au moment des congés. Dans ce courrier, on a aussi appris que le directeur financier serait gratifié d'une "prime de réussite" s'il parvenait à boucler le dépôt de bilan de façon économique. Une prime qui s'échelonnerait de 150 000 F à... 6 millions !
Le 6 juin, jour de réception par les syndicats du courrier, la grève a été totale, générale. Les grévistes et l'intersyndicale (CFDT-CGT-CGC) ont décidé de bloquer l'usine et le dépôt de chaussures qui contient 450 000 paires. Gardé de jour comme de nuit par les grévistes, c'est un véritable trésor de guerre. Il revient dans les conversations ce qu'avaient fait les travailleurs de Lip à Besançon en 1973 qui s'étaient payés sur le stock de montres de leur usine menacée de fermeture. Et les 450 000 paires, cela représente environ 130 000 F par personne, soit près de 2 ans de salaire.
Le 7 juin a été nommé un directeur opérationnel, Antonius Van Es, surnommé "le fossoyeur" dans le groupe Bata. Il a été séquestré par les grévistes. C'est un habitué puisque, selon Le Républicain lorrain, il aurait été séquestré un mois lors de la fermeture d'une usine en Asie. Le 8 juin, il affirmait que le dépôt de bilan était imminent... en même temps que la direction de Bata SA prétendait qu'il n'en était pas question. Libéré le 9 juin, Van Es est revenu deux jours plus tard pour un Comité d'entreprise extraordinaire où il a confirmé que, le groupe Bata coupant les vivres, l'usine serait en cessation de paiement fin juin et que le dépôt de bilan serait prononcé. Le maintien d'une activité est très hypothétique car ce que la direction évoque comme activité possible ne semble pas très sérieux. Cela n'empêche pas Van Es d'affirmer qu'il n'est pas question de fermer le site. Mais on ne trouve plus personne à Bata qui croie les balivernes de la direction.
Des pertes... mais beaucoup de profits
Depuis des années la menace de fermeture de l'usine plane. En 1997, il y avait eu 275 suppressions d'emplois, annoncées à la veille des vacances. Beaucoup n'ont toujours pas retrouvé de travail dans cette région rurale du Lunévillois où Bata - qui a compté jusqu'à 2 400 salariés - est la seule usine. La moyenne d'âge des salariés est de 42 ans et nombreux sont les couples qui y travaillent. C'est dire que le choix se résume à Bata ou l'ANPE.
Bien sûr, la direction prétend que l'usine est déficitaire. Mais le carnet de commandes est plein, et les pertes ne veulent rien dire tant il est vrai que l'empire Bata appartient à la famille multi-milliardaire du même nom. Et tous les ouvriers ont vu à la télévision les toiles de maîtres qui ornent leur château à Toronto au Canada ou, dernier caprice de la famille Bata, le récent somptueux musée de la chaussure qu'ils ont construit. Les prétendues pertes de l'usine ne sont rien, comparés à la fortune de la famille. Et il suffirait de ne décrocher que quelques-unes de leurs toiles pour assurer à tous les travailleurs un salaire jusqu'à leur retraite.
Le soutien de la population, les initiatives multiples des grévistes ont surpris tout le monde, y compris les syndicalistes. Un fermier a donné deux moutons pour le pique-nique organisé dimanche 10 juin, un autre a donné du bois, des dons arrivent, des retraités apportent qui des gâteaux, qui des encouragements, des syndicalistes viennent donner un coup de main... La solidarité spontanée est présente, car la fermeture de l'usine signifierait la mort de cette région où déjà le taux de chômage est un des plus forts de Lorraine.
Après le coup de massue de l'annonce du dépôt de bilan proche, mardi 12, l'intersyndicale a proposé d'organiser un blocage filtrant sur le rond-point où la Nationale 4 rejoint l'autoroute A4, près de Phalsbourg. 300 travailleurs y ont participé et l'accueil des automobilistes a été - à part un ou deux abrutis - très favorable. Beaucoup de gens ont versé à la collecte et un pique-nique a été improvisé sur le rond-point. Et comme le camarade soleil était de la partie, cette journée a regonflé le moral de tous. D'autres actions sont prévues dans les jours qui viennent. Et il en faudra bien d'autres pour faire reculer Bata pour que, comme le demande l'intersyndicale, il y ait "zéro chômeur".