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Dans le monde
Algérie : Révolte de la jeunesse en Kabylie
60 morts, plus de 1000 blessés, des villes et des villages saccagés, c'est le bilan, sans doute malheureusement provisoire, des émeutes en Kabylie.
Tout a commencé, il y a une quinzaine de jours, le 18 avril, à Beni Douala. Un jeune lycéen interpellé et emmené à la gendarmerie, y a été tué d'une rafale de kalachnikov. De premières émeutes ont opposé des jeunes aux gendarmes. Quelques jours plus tard, à Amizour, deux jeunes encore ont été interpellés et malmenés par la brigade de gendarmerie. La brigade a été attaquée à coups de pierres. Les véhicules de la gendarmerie ont été incendiés, ainsi que certains édifices administratifs dont la sous-préfecture.
C'est bien l'attitude de la gendarmerie qui a mis le feu aux poudres dans toute la Kabylie. Ces unités qui ont été renforcées ces dernières années du fait de la situation sécuritaire, sont de plus en plus contestées. Elles sont souvent originaires d'autres régions. Elles se livrent fréquemment à divers trafics ou rackets sur le dos de la population, ont tendance à suspecter les habitants de complicité avec les terroristes et se comportent avec arrogance et mépris.
Un chômage massif
Mais c'est la situation économique et sociale qui a poussé les jeunes à la révolte. Le chômage est massif. Il touche entre 30 et 40 % de la population active. Des centaines de milliers d'emplois ont été supprimés au cours des dernières années à la suite des restructurations et des fermetures d'entreprises. La grande majorité des jeunes n'a aucun espoir de trouver du travail ni un logement. C'est vrai en Kabylie, mais pas seulement. C'est ainsi qu'au cours de ces derniers mois, un peu partout en Algérie, des protestations, des incidents violents ont éclaté pour protester contre les attributions injustes des logements sociaux en nombre dérisoire par rapport aux besoins.
De nouveaux plans de licenciements sont prévus, destinés à allécher d'éventuels investisseurs étrangers qui seraient candidats au rachat d'entreprises privatisables. Aucun secteur de l'économie n'est désormais à l'abri, y compris la Sonatrach, l'entreprise nationale des hydrocarbures.
Ces dernières semaines, à l'appel de l'UGTA, une grève de 24 heures a eu lieu dans le secteur des hydrocarbures, grève qui s'est étendue à d'autres secteurs, comme la métallurgie. Quelques jours plus tard, une autre grève de 24 heures a paralysé le secteur des finances, les banques et les assurances.
Aujourd'hui, la vie et les conditions d'existence de la grande majorité de la population sont devenues insupportables et le pouvoir redoute que l'agitation, les émeutes qui se sont étendues rapidement en Kabylie gagnent d'autres villes et d'autres régions. Pour le moment l'agitation semble avoir gagné quelques universités d'Alger.
Rien à attendre du gouvernement...
Dans son discours télévisé, Bouteflika a fait quelques vagues promesses en direction de la jeunesse kabyle. Il a annoncé à nouveau son plan triennal de relance économique, il a annoncé la constitution d'une commission d'enquête et a envisagé une modification de la constitution reconnaissant la langue berbère comme une langue nationale, mais sans engagements fermes et précis.
Sur cette question, Bouteflika tente de ménager la chèvre et le chou. Il tient compte de ses alliés, partisans de l'arabo-islamisme, mais il semble aussi tendre la perche aux partis qui ont une influence en Kabylie et qui vont probablement essayer de reprendre le contrôle du mouvement, en mettant l'accent sur ce qu'ils appellent la question "identitaire" et sur les revendications nationalistes berbères.
... comme des partis d'opposition
Jusqu'à présent le mouvement de révolte de la jeunesse échappe à l'influence du RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) associé jusqu'à ces derniers jours au gouvernement, dirigé par Saïd Saadi, tout comme au contrôle du FFS (le Front des Forces Socialistes) dirigé par Aït Ahmed. Les manifestants semblent méfiants à leur égard. De nombreux locaux de ces partis ont été saccagés comme l'ont été des bâtiments administratifs ou des locaux du FLN. Face à cette situation, le RCD a décidé de quitter le gouvernement, sans doute pour tenter de regagner un peu de crédit vis-à-vis de tous ceux que la répression indigne. Quant au FFS, il cherche à donner un caractère pacifique à la protestation, allant jusqu'à décommander - sans succès d'ailleurs - les marches de Tizi-Ouzou et Bejaïa du samedi 28 avril. Par ailleurs, Aït Ahmed et le FFS opposent à la commission nationale d'enquête que propose Bouteflika, une commission d'enquête internationale concernant tout ce qui s'est passé depuis 1992 et font appel à l'intervention de l'Union Européenne. En réalité, il s'agit pour Aït Ahmed de relancer son projet de "solution" qui consisterait en une recomposition du pouvoir autour de Bouteflika ou d'un autre, et où le pouvoir élargirait sa "majorité" en associant le FFS et quelques anciens dirigeants du FIS.
Calculs et manoeuvres politiciennes vont bon train, mais ce n'est bien sûr ni du côté du RCD, ni du côté du FFS que les jeunes révoltés peuvent attendre des perspectives qui formuleraient des revendications et des objectifs politiques correspondant aux aspirations des exploités, des pauvres et des travailleurs non seulement en Kabylie mais dans l'ensemble du pays. Il y a toutes les chances pour que les dirigeants du RCD comme ceux du FFS tentent de canaliser le mouvement dans la voie des revendications nationalistes et mettent leur poids pour éviter que s'étende la contestation sociale. Or c'est bien sûr en généralisant la mobilisation à toute la jeunesse, à l'ensemble de la classe ouvrière et à tous les exploités d'Algérie que ce mouvement pourra contribuer à améliorer le sort de la population pauvre de ce pays.