Russie : Pouvoir, "liberté de presse" et affairisme20/04/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/04/une-1710.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Pouvoir, "liberté de presse" et affairisme

NTV, une des principales chaînes de télévision russes, vient de passer sous contrôle du Kremlin depuis Pâques, à l'issue d'un bras de fer de plusieurs mois.

Une presse aux ordres

Les syndicats russes de journalistes dénoncent là la volonté de Poutine de se soumettre, entre autres choses, les sources d'information. Certes, les médias, à commencer par les principaux, sont déjà largement sous la coupe du pouvoir. D'abord parce que, privés ou non, journaux, radios et télévisions ne vivent que des subsides gouvernementaux et de la publicité de sociétés souvent liées à tel ou tel clan du régime. Ils dépendent aussi, sinon surtout, du bon vouloir des autorités, qui les autorisent ou pas par le biais de l'enregistrement obligatoire des entreprises de presse et qui disposent de maints moyens " légaux " de les étrangler dès qu'ils leur déplaisent. On en a eu un nouvel exemple ces jours-ci : à peine la rédaction de NTV s'était-elle rabattue sur TNT, une chaîne amie de diffusion pourtant limitée, que la police fiscale investissait ses studios.

Mais de là à faire de NTV le champion de la " liberté d'expression ", comme nombre de médias occidentaux qui ont repris les dires des dirigeants de NTV, il faut une bonne dose de mauvaise foi.

Izvestia, un quotidien pro-Poutine au ton parfois critique, a publié une lettre ouverte d'un des trois cofondateurs de NTV. Celui-ci y rappelait qu'en 1996 la chaîne n'avait eu aucun état d'âme à mettre tout son poids dans le soutien à la campagne du président russe d'alors, Eltsine, en fort mauvaise posture quant à sa réélection. Il y relatait comment, avec l'actuel directeur général de NTV qui pose aujourd'hui au martyr de la liberté de la presse, ils ne faisaient là qu'appliquer la politique décidée par leur " patron " Goussinski en se rendant chaque jour au Kremlin pour y discuter de la ligne éditoriale de NTV avec les hommes d'Eltsine. Goussinski attendait en retour des remerciements sonnants et trébuchants.

La lutte des clans du pouvoir et la presse

D'autres " oligarques " (nom russe des affairistes de haute volée dont les affaires doivent tout au soutien des clans rivaux qui se partagent le pouvoir) ayant été plus favorisés que lui après la réélection d'Eltsine, Goussinski commença à se sentir une âme d'" opposant ". En fait, il tenta d'utiliser NTV pour exercer une pression en sa faveur sur le pouvoir en place, tantôt en le critiquant, tantôt en le soutenant. NTV fut ainsi en pointe des attaques contre un autre oligarque, Berezovski, entre autres chef de la chaîne TV6, qui semblait avoir cessé de plaire en haut lieu.

Fin 1999, quand Eltsine passa la main à Poutine qui venait de lancer la seconde guerre de Tchétchénie, NTV soutint celle-ci, Goussinski tentait ainsi de rentrer en grâce. Las ! Poutine avait ses propres hommes à favoriser. Les possibilités d'enrichissement affairiste au sommet n'étant pas illimitées, la nouvelle équipe présidentielle multiplia les instructions judiciaires et les raids policiers dans les locaux des différentes entreprises, dont celles de presse, de Goussinski et de Berezovski qui devaient tout à l'équipe précédente. Goussinski fut emprisonné et on lui mit le marché en main : la liberté contre ses parts dans NTV.

Un rappel du pouvoir à ses affairistes

Goussinski céda et en profita pour se réfugier à l'Ouest où il avait placé une partie de sa fortune, et d'où il n'a cessé depuis d'ameuter l'opinion et surtout les bailleurs de fonds de la Russie en criant à l'assassinat de la liberté de la presse.

Bien sûr, les dirigeants des Etats impérialistes ont vu et soutenu bien d'autres dictateurs, sans parler de leurs propres turpitudes. Mais Poutine, qui cherche à jouer au chef d'Etat fréquentable, se serait passé d'une casserole qui, ajoutée à celle de la sale guerre de Tchétchénie, donne une image peu reluisante du régime russe. Du coup, il répète que le changement de mains de NTV dépend des seuls actionnaires de la chaîne.

Formellement, tel est bien le cas. Comme la majorité des grandes entreprises privées apparues en Russie à la fin de l'URSS, NTV a été créée avec des fonds publics. Un Goussinski n'a pu en prendre la direction que parce que les autorités l'avaient agréé et trouvaient leur compte à placer à sa tête un homme de confiance d'un des clans dirigeants.

Les cartes ayant été rebattues au sommet, Goussinski a été écarté. Gazprom, géant mondial du gaz et première société russe par l'importance, a été priée par le Kremlin de se " souvenir " que NTV lui devait d'énormes sommes d'argent depuis sa fondation. Car Gazprom, firme elle aussi de droit privé, appartient à l'Etat russe.

Si " l'affaire NTV " ne passionne pas la population russe, qui a bien d'autres soucis, elle rappelle en tout cas et ce qu'est le régime russe actuel et que le sort des tristes hérauts du nouveau " capitalisme " à la russe y reste des plus précaires, en tout cas dépendant du pouvoir et de qui l'incarne.

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