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Leur société
Fièvre aphteuse : Moutons malades et veaux d'or
L'épidémie actuelle de fièvre aphteuse n'est pas seulement due à l'action du virus, elle est la conséquence de choix économiques et sanitaires pris délibérément, et en toute connaissance de cause, par les dirigeants de l'Union européenne d'abord, et de la plupart des Etats européens ensuite.
Le spectacle navrant d'énormes bûchers où l'on brûle des dizaines de milliers d'animaux - sains dans l'immense majorité des cas - et celui de petits éleveurs désespérés, résulte d'un pari volontairement accepté... mais pas par les petits éleveurs en question, par les dirigeants des "filières" de l'élevage et de la viande et par les politiciens qui les représentent. Un pari perdu par les plus pauvres, mais qui a fait gagner des milliards aux plus riches.
Vaccination ou pas
La vaccination obligatoire du cheptel européen a été interdite il y a quelques années. Cela peut paraître surprenant, mais il y a des pays, et notamment les plus gros exportateurs de viande bovine (USA) ou ovine (Australie, Nouvelle-Zélande) où l'on ne vaccine pas. La maladie y est éradiquée depuis longtemps, et la vaccination abandonnée. Mais cela n'a pas toujours été le cas : les Etats-Unis sont parvenus à juguler la fièvre aphteuse après des campagnes de vaccination systématiques.
Cependant, pourquoi ont-ils renoncé à la vaccination alors qu'une épidémie peut revenir, y compris dans les pays "propres" ? D'une part parce que les vaccins, même s'ils ne coûtent pas très cher, ne sont pas gratuits. D'autre part parce que des éleveurs, peu scrupuleux, se contentaient de vacciner leurs bêtes, sans prendre en même temps des mesures d'hygiène. La vaccination masquait donc ces comportements à risque. Enfin les animaux vaccinés pouvaient, tout en n'étant pas malades eux-mêmes, être porteurs du virus et donc contaminer les autres qui n'auraient pas été vaccinés.
En définitive, certains pays, et non des moindres, soit ne l'avaient jamais pratiquée, soit ont abandonné la vaccination depuis des décennies, ce qui leur impose de strictes mesures de surveillance aux frontières, tout en courant quand même le risque d'un retour de la maladie.
Pour faire partie des pays "propres", ceux de l'Union européenne, où la maladie avait semble-t-il disparu, ont à leur tour décidé en 1991 de renoncer, un peu vite - c'est le moins qu'on puisse dire ! - à la vaccination. Et les dirigeants de l'UE, en accord avec les dirigeants français, dont le ministre de l'agriculture Glavany, ainsi qu'avec la FNSEA, viennent de réaffirmer qu'il n'était pas question de revenir à la vaccination. Ils espèrent parvenir à juguler l'épidémie actuelle grâce aux mesures draconiennes d'isolement des foyers infectés et de destruction systématique du cheptel suspect. C'est que, comme l'a déclaré un des responsables : "La conséquence tragique de la vaccination est d'exclure pour trois ans les pays qui vaccinent du commerce international"... Et c'est là en effet qu'est le fond du problème.
La guerre des maquignons internationaux
Dans les marchés internationaux de la viande, comme dans tous les autres, la guerre fait rage entre les firmes concurrentes. Il s'agit bien entendu de grosses entreprises, les petits éleveurs n'ayant pas accès au commerce mondial. Une guerre où tous les coups sont permis. Ainsi les trusts américains tentent depuis des années d'imposer leurs bovins aux hormones sur le marché européen, et s'empressent d'interdire les bovins ennemis avec l'affaire de la vache folle.
A travers les accords commerciaux internationaux (GATT puis OMC) les pays "indemnes" de la fièvre aphteuse (c'est-à-dire leurs trusts agro-alimentaires) sont parvenus à imposer dans les faits que seuls les pays où la vaccination n'est pas pratiquée, preuve que l'épidémie n'y existe pas, puissent exporter. Ainsi un pays gros importateur, comme le Japon par exemple, peut faire venir sa viande d'un pays "propre" comme les Etats-Unis, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, ou bien d'un pays contaminé. Le choix est vite fait. Et c'est pour cette raison que les dirigeants européens ont décidé, dès qu'ils ont estimé que c'était possible, d'abandonner la vaccination des troupeaux. Comme le déclarait en 1990 le patron de la Socopa, l'un des "gros" de la viande : "Lorsque la France sera devenue "zone propre", une énorme barrière sera levée. Nous pourrons accéder aux marchés de l'Extrême-Orient".
En juin 1990, l'UE interdisait la vaccination, et un an après, la France "transposait" cette directive dans sa loi. Il était prévu qu'en cas d'épidémie on procéderait à l'abattage systématique.
Depuis une dizaine d'années les exportations de viande de l'Union européenne ont fait un bond prodigieux : dès 1992 les exportations de viande bovine avaient gagné 40 % sur 1990, et cela a continué ainsi jusqu'en 1996 (crise de la vache folle).
En moins de dix ans les exportations de viande porcine ont triplé. Non seulement les marchés s'ouvraient largement, mais l'UE accorde en plus des aides à l'exportation appelées "restitutions"... qui ont effectivement "restitué" des milliards aux trusts de l'agro-alimentaire. Ces derniers veulent continuer de pouvoir exporter, d'accéder aux marchés de l'Europe de l'Est, de la Russie, de la Chine, de l'Extrême-Orient, etc. tout en continuant à toucher des subventions de l'Union européenne. Il ne faut donc pas s'étonner que le ministre de l'Agriculture ainsi que le principal syndicat d'exploitants agricoles (la FNSEA, qui représente avant tout les plus gros) soient des partisans acharnés du maintien de la non-vaccination. Qu'importe pour eux quelques dizaines - ou centaines - de milliers d'animaux sacrifiés, et des petits éleveurs ruinés, ce sont des sommes énormes qui sont en jeu.
Les petits éleveurs victimes des trusts de l'agro-alimentaire
Lors du débat parlementaire de juin 1991, sur l'adoption de la directive européenne de non-vaccination, le ministre de l'Agriculture de l'époque, le socialiste Louis Mermaz, déclarait "... prendre ce risque. Il est calculé". Un député communiste de l'Allier, opposé à cette décision, constatait par contre que "la perspective de devoir arrêter la vaccination ne soulève pas l'enthousiasme des éleveurs."
Eh oui, il y avait bien risque calculé, mais au profit de qui et aux dépens de qui ? Les gros de la viande avaient tout à y gagner, et y ont énormément gagné - et on peut faire confiance aux politiciens qui les soutiennent pour que, quoi qu'il arrive, ils y gagnent encore. En revanche les petits éleveurs n'avaient que la mauvaise face du risque... celle de perdre. Et c'est ce qui leur arrive en ce moment, en tout cas dans les régions suspectées de receler des foyers infectieux.
Le ministre de l'Agriculture vient d'annoncer qu'il allait leur octroyer quelques dizaines de millions en compensation. C'est la petite aumône qu'on abandonne aux petits éleveurs. Cela fait sans doute aussi partie du "risque calculé"...