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Argentine : L'amnistie des militaires remise en cause
Le juge fédéral argentin Cavallo a déclaré que les deux lois d'amnistie qui couvrent les militaires impliqués dans les crimes de la dictature étaient inconstitutionnelles, en ce qui concerne la disparition d'un couple en 1978. La fille de celui- ci, âgée de huit mois au moment de l'enlèvement de la famille par les militaires et adoptée illégalement par l'un d'eux, n'a retrouvé sa véritable identité que l'an dernier et grâce aux "grand-mères de la place de Mai".
Les responsables de l'enlèvement de ses parents sont poursuivis par un organisme de défense des droits de l'homme qui a donc obtenu, pour cette affaire précise, l'abrogation des lois dites du "point final" et du "devoir d'obéissance". Adoptées en 1986 et 1987, ces deux lois visaient à mettre fin aux poursuites contre les tortionnaires, sous prétexte de ne pas troubler l'armée. La seconde leur permettait d'échapper à toute responsabilité en invoquant la discipline militaire pour leur défense.
Malgré le caractère limité de cette décision, les sommets de l'armée s'inquiètent. Le coup d'Etat du 24 mars 1976, qui avait instauré la dictature, date maintenant d'un quart de siècle. Les officiers qui sont aujourd'hui à la tête des forces armées étaient alors de jeunes officiers, ceux justement que protégeait la loi du "devoir d'obéissance". Il y a quinze ans, c'est 90 % des officiers qui avaient été impliqués dans les événements du temps de la dictature. Ils ne sont plus que 10 % aujourd'hui à l'avoir été, mais ce sont les plus hauts gradés.
Ces généraux et colonels protestent bien haut contre l'horrible incertitude qui plane sur leur sort, leurs carrières, leurs promotions. Ils estiment leur "honneur" d'officiers menacé. On l'a vu ici avec Papon, il n'y a rien de plus légaliste, rien de plus douillet qu'un tortionnaire qu'on met en cause. Le ministre de la Défense, défenseur des lois d'amnistie des années 1980, est du côté des officiers, déclarant : "Les choses jugées sont définitives."
Par contre ceux qui voudraient que les exécutants de la dictature rendent des comptes espèrent que la décision du juge Cavallo fera jurisprudence ; mais ce n'est pas son intention. Quant aux dirigeants politiques argentins, depuis la fin de la dictature ils défendent imperturbablement l'innocence et la cohésion de l'armée.
Pour toutes les victimes de la dictature, pour les parents et les amis des 30 000 disparus de la "guerre sale", pour tous ceux qui comprennent le danger que les forces de répression représentent pour la classe ouvrière et les libertés, c'est l'occasion de rompre le silence dont la bourgeoisie a voulu couvrir les crimes de ses sbires.
En France, les Massu, Bigeard et Cie ne se sentent même plus mis en cause par le rappel des crimes de la guerre d'Algérie. Quand ils en parlent, c'est en posant à l'historien ou au mémorialiste. Mais ni la distance, ni l'oubli, n'effacent les crimes. Ceux des militaires argentins sont plus récents, et ils ont concerné leurs propres compatriotes qui aujourd'hui demandent des comptes. Et tant mieux si, au moins, ils ne sont pas tenus pour quittes.