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Dans le monde
Kurdistan irakien : Une situation inextricable créée par l'intervention impérialiste
Les 910 réfugiés kurdes irakiens dont le navire s'est échoué samedi 17 février sur la côte varoise ont été rapidement l'objet de gestes de solidarité de la part de la population des environs. Émus, de nombreux habitants de Saint-Raphaël et de la région sont venus leur apporter vêtements, nourriture, jouets pour les enfants, répondant en somme à un simple et naturel sentiment humain de solidarité envers des femmes et des hommes, des vieillards et des enfants dont tous avaient compris immédiatement la situation dramatique.
Il n'en a malheureusement pas été de même du côté des autorités et des responsables politiques français, qui ont rivalisé de déclarations hypocrites, parlant tout à la fois de la nécessité d'accueillir les réfugiés "humainement" - c'est bien le moins - et de celle de ne pas se laisser imposer leur présence sur le sol français, en bref de leur refuser le droit d'asile. La première réaction des représentants officiels de la France "terre d'asile" a été de se demander comment ils pouvaient faire et quel prétexte ils pouvaient trouver pour renvoyer ces réfugiés ailleurs, vers l'Italie, la Grèce ou la Turquie. Ainsi ces "responsables" pourraient continuer à les ignorer superbement, eux et la situation dramatique dont ils sont le témoignage.
"Boat people" en méditerranée
Mais si c'est la première fois qu'un navire de réfugiés kurdes aborde directement les côtes françaises, cela fait plusieurs années que des navires du même genre abordent les côtes italiennes, en Calabre ou dans les Pouilles. C'est quotidiennement aussi que des passeurs traversent l'Adriatique sur des embarcations pneumatiques, en provenance de la côte albanaise, pour lâcher des candidats à l'immigration sur la côte italienne. Pourchassés par les garde-côtes italiens, ils se débarrassent parfois de leurs passagers en les jetant à l'eau, quand ce ne sont pas les garde-côtes eux-mêmes qui éperonnent un bateau de réfugiés et l'envoient par le fond avec sa cargaison humaine, comme cela s'est produit un certain nombre de fois.
Quant à ce qui fait que des femmes et des hommes, parfois des familles entières, soient ainsi prêts à braver tous les dangers pour échapper à leur situation, cela existe depuis des années et n'est que le produit de la politique menée par les puissances impérialistes, dont la France, et par ses responsables politiques de droite et de gauche.
Il y a bien sûr la misère que le système capitaliste fait régner sur la planète en général, à l'exception des îlots de prospérité de l'Europe occidentale, de l'Amérique du Nord et du Japon. Mais dans le cas des réfugiés du Kurdistan il y a plus. Il y a bien sûr la situation des Kurdes en général, ce peuple partagé entre quatre États : la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie qui répriment chacun leur tour les révoltes kurdes dans l'indifférence, et même avec la complicité, des grandes puissances. Et il y a depuis dix ans la situation spécifique créée par l'intervention occidentale en Irak lors de la guerre du Golfe.
Les suites de la guerre du golfe
La coalition des armées occidentales rassemblée alors à l'initiative du président américain Bush - le père de l'actuel président - a su faire la guerre à l'Irak pour forcer l'armée de Saddam Hussein à évacuer le Koweit, cet Etat princier dont la seule raison d'être est de mettre à l'abri d'immenses richesses pétrolières profitant essentiellement à l'économie des pays occidentaux. Il n'était pas question de laisser un Etat comme l'Irak mettre la main sur cette chasse gardée des grandes compagnies pétrolières. Les dirigeants occidentaux ont alors expliqué à leur opinion publique qu'il fallait accepter de se battre pour l'"indépendance" du Koweit, et contre la dictature de Saddam. Et tous ces grands démocrates n'ont pas non plus hésité à appeler le peuple irakien à se soulever contre cette dictature, en l'assurant du soutien occidental.
Mais lorsque l'armée irakienne a évacué le Koweit, lorsque les populations chiites du Sud de l'Irak et les populations kurdes du Nord ont commencé à se soulever, les armées occidentales sont restées l'arme au pied et ont regardé sans broncher l'armée irakienne écraser la révolte. Ce n'était pas une "erreur" de Bush, mais un froid calcul : une fois le Koweit et ses richesses pétrolières récupérés, les dirigeants américains et européens préféraient encore voir la dictature de Saddam Hussein continuer à régner plutôt que de risquer de voir s'installer en Irak un pouvoir révolutionnaire, car pour la stabilité de la domination impérialiste sur la région, celui-ci aurait pu être bien plus dangereux que le maître de Bagdad.
Cependant, lorsque les Kurdes en butte à la répression irakienne ont commencé à se réfugier en Turquie, l'armée turque alors elle-même en guerre contre la guérilla kurde du PKK les a "reconduits" côté irakien, l'armée américaine promettant d'assurer une protection aérienne de la région kurde irakienne, au nord du 36e parallèle. Ainsi cette région s'est installée dans une situation précaire : les milices des partis kurdes PDK et UPK s'y partagent le pouvoir, souvent en se combattant et en combattant ensemble les milices du PKK venues du Kurdistan de Turquie. L'armée turque de son côté procède à des incursions régulières, combattant le PKK en accord avec le PDK et l'UPK. L'armée irakienne fait de même pendant que plus au sud ce sont les avions américains qui bombardent l'Irak. Ces différentes milices se financent grâce à tous les trafics qui s'effectuent à travers la frontière, rendus d'autant plus nécessaires par le maintien de l'embargo occidental contre l'Irak.
Une situation inextricable
Voilà la situation qui subsiste sur le terrain, dix ans après la Guerre du Golfe, une situation où la population supporte, en même temps que les conséquences du désastre économique, le poids de ces pouvoirs rivaux qui se combattent, une situation que les dirigeants impérialistes ont créée par leur politique et dont maintenant ils se lavent les mains.
C'est cela qui explique que des dizaines et des centaines de milliers de personnes soient prêtes à fuir, à risquer la mort, en abandonnant toutes leurs économies aux mafias de passeurs qui opèrent sur le trajet qui sépare le Kurdistan d'Irak des côtes italiennes ou françaises, et qui font payer le voyage de 500 à 2 000 dollars, soit de 4 000 à 16 000 F par personne. Celles-ci opèrent en collaboration avec la police turque, dont la corruption est notoire, et sans laquelle il serait impossible de faire charger et appareiller des navires tout près d'Istanbul ou des autres ports où les candidats à l'exil sont rassemblés. Cette corruption impliquant des responsables policiers à un haut niveau, il est en outre tout à fait possible que ceux-ci ferment les yeux en échange, non seulement d'un confortable bakchich, mais aussi d'un engagement des trafiquants à décharger leurs passagers là où les autorités turques peuvent y voir un avantage. Ainsi, le fait que pour la première fois un bateau de réfugiés ait touché la France, quelques semaines seulement après que le Parlement français a reconnu le génocide arménien et alors que les autorités et la presse turques sont lancées dans une campagne contre ce qu'elles nomment la "trahison" de la France, n'est peut-être pas dû au seul hasard.
Alors oui, les réfugiés débarqués sur la côte varoise sont les victimes et les jouets des mafias, mais pas seulement celles des passeurs. Elles sont aussi celles des bandits qui sont au pouvoir dans les Etats de la région. Et elles sont encore plus fondamentalement les victimes du banditisme des dirigeants impérialistes dans la région du Golfe et dans tout le Proche et Moyen-Orient. Leurs interventions successives, d'Israël au Kurdistan en passant par le Liban, ont laissé partout des foyers de tension et de haine, des situations de guerre larvée pouvant à tout moment déboucher sur des massacres. Et parmi ces dirigeants impérialistes, les responsables politiques français, derrière leurs mines de compassion hypocrite, ne sont pas les derniers.