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Leur société
Chirac au Salon de l'agriculture : La santé publique passe après la démagogie
Lors de sa visite au Salon de l'agriculture à Paris, Chirac s'en est pris aux dernières conclusions de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), organisme officiel qui, depuis sa mise en place en avril 1999, étudie les risques existant dans la chaîne alimentaire et est tenu de publier ses conclusions. Selon lui, le moment était mal venu d'alerter l'opinion sur de nouveaux risques alimentaires.
Chirac n'a pas apprécié que l'Afssa, par précaution, allonge la liste des organes des moutons et des chèvres, interdits à la consommation humaine, à la cervelle, aux yeux, aux amygdales et à la moelle épinière des animaux de plus de douze mois et à la rate de tous les animaux. L'Afssa recommande désormais que l'interdiction concerne les animaux de plus de six mois et l'ensemble des intestins, qui entrent jusqu'à présent dans la fabrication des merguez et autres saucisses.
Cet avis de l'Afssa intervient dans le cadre des recherches sur la maladie de la vache folle et l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine. Et si les scientifiques considèrent que de nouvelles mesures de précaution s'imposent en matière alimentaire, la moindre des choses est bien que la population en soit immédiatement informée et que les mesures en question soient prises sans délai. Mais pour Chirac, "cette annonce à la veille du Salon (de l'agriculture) est une preuve au moins de bêtise et de mauvais goût". A son avis, éminemment intelligent et de bon goût bien sûr, mieux aurait donc valu ne rien dire, ne rien publier, ne pas rendre d'avis. Avec une telle logique, on pourrait aussi arrêter tout simplement des recherches qui ne mènent qu'à inquiéter la population et à faire baisser la consommation de viande. Le principe de précaution ne serait bon, en fait, qu'aux discours officiels mais certainement pas à être mis en oeuvre.
Au Salon, sur le stand de la FNSEA, le plus important des syndicats d'agriculteurs (et des plus gros d'entre eux), devant son président Luc Guyau et à trois semaines des élections municipales, Chirac pensait probablement faire plaisir à ses hôtes en fustigeant ainsi les scientifiques et en s'autorisant à déclarer que "cet avis sur les moutons est tout à fait irresponsable. (...) C'est une incitation à la panique tout à fait regrettable". La transparence sur les produits livrés à la consommation, le souci de la santé publique ne sont visiblement pas toujours opportuns. Ils le sont d'autant moins qu'ils peuvent signifier des risques commerciaux de chute de la consommation de viande de mouton et d'une baisse des prix. Car c'est bien de cela qu'il s'agit.
La politique de tous les gouvernements des Etats européens, et du gouvernement français en particulier, pendant des années, a conduit à la situation actuelle. Ce ne sont pas les scientifiques, comme ose l'affirmer Chirac, qui sont "irresponsables", mais bien les pouvoirs publics qui, lorsque le danger de contamination a été identifié, il y a plus de dix ans maintenant, n'ont pas pris les mesures qui s'imposaient pour préserver, au mieux de ce qu'il était possible de faire, la sécurité alimentaire. Ils ont voulu préserver en priorité les intérêts commerciaux et financiers en jeu. Et aujourd'hui, devant l'ampleur des dégâts et des risques pour la santé humaine, ce sont encore ces intérêts qui commandent des réactions comme celle de Chirac, mais aussi comme celle du gouvernement Jospin qui, pour moins gaffer que Chirac, n'en est pas moins plus préoccupé de la façon de redresser les courbes de consommation de viande que d'éliminer tous les risques de la chaîne alimentaire. Sinon comment un Kouchner, tout nouveau en poste au ministère de la Santé, l'un des ministères de tutelle de l'Afssa, réagissant aux propos de Chirac, se serait-il permis de dire lui aussi qu'il ne faut "pas céder à la tentation de transformer le nécessaire principe de précaution en un dangereux syndrome de précaution", mettant en garde contre "la dictature des experts" ? Si la population est inquiète, l'a montré et le montre encore en consommant beaucoup moins de viande de boeuf et peut-être, demain, de mouton, c'est bien parce qu'elle a conscience de cette situation et qu'elle n'a aucune raison de faire confiance aux gouvernants, quels qu'ils soient. Et ce ne sont pas les dernières déclarations des uns et des autres qui ont de quoi la faire changer d'avis.