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- Lutte ouvrière n°1699
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Espagne - Immigration : Le gouvernement et la politique criminelle du patronat
Au début de janvier en Espagne, douze émigrants d'origine équatorienne sont morts dans la camionnette qui les amenait à leur travail, heurtée par un train à un passage à niveau sans barrière. Cela s'est passé à Lorca, dans la province de Murcie, où se concentrent un grand nombre de travailleurs équatoriens. Mais plus encore que le danger représenté par ce type de passages à niveau, toujours pas éliminés par la RENFE (l'équivalent de la SNCF) et souvent dénoncés, cet accident qui a causé une forte émotion, en Espagne comme en Equateur, a mis encore une fois en lumière les conditions d'exploitation des émigrés, comme cela s'était produit il y a un an avec les faits d'El Ejido, dans la province d'Almeria.
Aux funérailles, la soeur d'une des victimes affirmait : Non, Messieurs, ce n'est pas seulement le train qui a tué . C'est vrai. La camionnette circulait de nuit par des routes secondaires pour éviter les contrôles parce que les travailleurs étaient illégaux , et aussi parce qu'elle transportait quatorze personnes en ne comptant que huit places. Les travailleurs se dirigeaient vers l'entreprise Greensol SL, dont le propriétaire a déjà été condamné à diverses occasions pour l'exploitation de travailleurs immigrés, auxquels plus d'une fois il ne payait pas le salaire promis, profitant de la situation de détresse du travailleur , suivant la formule d'un juge. Cette même entreprise a fait l'an passé un bénéfice de 3 000 millions de pesetas (environ 118 millions de francs).
Mais cette situation n'est ni une exception, ni un cas isolé. On calcule qu'à Lorca vivent entre 10 000 et 12 000 travailleurs sans papiers , la majorité d'origine équatorienne. Ils travaillent, comme d'ailleurs ceux qui ont des papiers en règle, dans les cultures de brocolis et de laitues. Leur travail est payé à la pièce, selon une pratique interdite par la loi mais connue de tous, recevant la misère de 10 pesetas (40 centimes) par kilo de brocolis cueilli. En une journée de travail ils peuvent cueillir environ mille kilos par personne. Quant ils ne travaillent pas à la pièce, les journées sont de 9 ou 10 heures pour un salaire de 500 à 600 pesetas l'heure (20 à 24 F). Le travail des enfants est fréquent. Chaque jour ils se présentent sans savoir s'ils auront du travail ni où ils iront, dépendant de l'arbitraire des contremaîtres qui les recrutent sur une place de la ville. La majorité vivent hors de celle-ci, entassés dans de petites maisons rurales.
Aux dures conditions de vie et de travail sur place s'ajoute l'importante dette laissée en Equateur pour pouvoir venir en Espagne et disposer de la somme d'argent exigée pour y entrer. Suivant les cas la dette peut varier pour chaque famille entre 400 000 et deux millions de pesetas (soit de 16 000 à 80 000 F). La détresse des immigrés est un excellent commerce pour les riches usuriers et les mafias en Equateur, et pour les patrons espagnols.
Pression patronale et gouvernementale
Après la mise en détention du propriétaire de Greensol, le reste des entrepreneurs agricoles de Lorca ont décidé de ne plus embaucher d'immigrés sans papiers, invoquant la peur de possibles sanctions. Il faut être cynique, alors qu'ils ont entretenu, en s'abritant derrière les lois sur l'immigration, l'existence de travailleurs non régularisés, comme main-d'oeuvre bon marché et comme réserve à leur disposition. La situation de ces travailleurs est souvent à la limite, certains dormant dans la rue parce qu'après avoir payé leur nourriture ils ne peuvent plus payer un loyer.
Mais le gouvernement n'est pas en retard sur ces entrepreneurs. Après l'accident, un millier de travailleurs immigrés ont organisé une marche de Lorca à Murcie, revendiquant des permis de séjour provisoires et la légalisation de leur situation. La réponse du délégué gouvernemental à l'immigration Fernandez Miranda, fils d'un vieux politicien franquiste, a été de s'opposer à toute nouvelle régularisation pour proposer que les immigrés sans papiers retournent en Equateur et, de là, contractent un contrat de travail pour revenir en Espagne ! Peu de temps auparavant, dans un étalage d'insolence scandaleux, il avait déclaré que la situation d'exploitation des travailleurs illégaux ne le surprenait pas car c'était une réalité parfaitement connue.
Le 23 janvier devait entrer en vigueur la nouvelle loi sur les étrangers. Le gouvernement menace de procéder à des expulsions massives et a même recommandé aux maires du Parti Populaire de s'opposer à l'un des rares droits qui restent aux immigrés sans papiers, comme celui de se faire recenser dans les municipalités, condition pour recevoir une aide médicale.
En même temps, des candidats à l'immigration continuent de mourir en traversant le détroit de Gibraltar. Les plus récents, le 21 janvier, sont morts en conséquence de l'abordage de leur bateau par un patrouilleur de la Garde Civile : un mort et cinq disparus.
La situation des travailleurs équatoriens à Murcie et l'entrée en vigueur de la loi sur les étrangers provoquent la protestation des travailleurs immigrés en divers points d'Espagne. Leur lutte doit pouvoir compter sur le soutien des travailleurs espagnols face aux seuls qui leur soient vraiment étrangers : les patrons et leur gouvernement.