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Côte-d’Ivoire : De la farce électorale à la menace de sécession
Le dimanche 10 décembre une parodie d'élections législatives s'est déroulée en Côte-d'Ivoire. Les partisans du pouvoir, c'est-à-dire du nouveau président «socialiste » Laurent Gbagbo, se réjouissent que ces élections aient pu se dérouler sans trop de violence. Cependant, seulement un tiers des électeurs auraient voté, et dans le Nord, où se trouvent surtout les partisans d'Alassane Ouattara dont leparti, le RDR (Rassemblement Des Républi-cains), appelait au boycott, les élections n'ont pu se dérouler dans vingt-neuf circonscriptions. Et puis les violences avaient largement eu lieu à peine une semaine auparavant.
Les autorités françaises ont commenté cette farce en déclarant que «ces élections ne répondent pas pleinement aux attente s». En effet, c'est le moins qu'on puisse dir e! Encore que Gbagbo, lui, ait tout lieu d'être satisfait puisque son parti, le FPI (Front Populaire Ivoirien), rafle la majorité des députés élus, devant le PDCI, l'ex-parti unique, celui des précédents présidents, Houphouët Boigny, et Konan Bédié.
Loin de connaître la «réconciliatio n» prônée par Laurent Gbagbo au lendemain de son élection contestée à la présidence, la Côte-d'Ivoire a donc connu une nouvelle vague de violences. Les affrontements ont encore une fois opposé les partisans de Ouattara et du RDR aux forces de l'ordre alliées aux partisans de Laurent Gbagbo et du FPI.
Après la décision d'invalider la candidature de Ouattara dans la course à la présidence, la mise à l'écart de ce dernier pour les élections législatives du 10 décembre ne pouvait être ressentie par ses partisans que comme une provocation de plus du nouveau pouvoir. Ceux-ci sont donc à nouveau descendus dans les rues d'Abidjan et de sa banlieue le lundi 4 décembre pour manifester leur colère. Toute manifestation étant interdite, ils se sont affrontés aux gendarmes et aux policiers mais aussi aux partisans de Gbagbo. En dépit du couvre-feu, les manifestations ont continué le lendemain. La répression, qui une fois encore a pris des allures de pogrom, a été brutale et les victimes, morts et blessés, se compteraient par dizaines.
Cette nouvelle vague de violence était prévisible. En fait, depuis des mois, le spectre de la guerre civile plane sur la Côte-d'Ivoire avec pour enjeu et pour moteur la direction des affaires. Et la récente élection de Gbagbo à la présidence, sur la base d'une très faible participation, puis les élections législatives, qui sont contestées par de nombreux opposants, sont loin d'avoir réglé le problème. Et si on excepte Jospin et les dirigeants du Parti Socialiste français, pressés de légitimer Gbagbo, peu de gens ont vu dans cette mascarade une expression démocratique.
Reste que les tensions ne sont pas près de retomber. Elles trouvent leur origine dans la démagogie politicienne autour de «l'ivoirité», une doctrine aussi ethniste que xénophobe, puisqu'elle rejette aussi bien les étrangers que ceux qui sont originaires du nord du pays. Cette doctrine a été initiée par l'ex-président Konan Bédié, puis reprise durant la campagne électorale pour la présidence par son successeur le général Gueï. Quant à Laurent Gbagbo, non seulement il n'y trouve rien à redire, mais au contraire il a fait sien le slogan de «la Côte-d'Ivoire aux Ivoiriens».
Les virulentes dénonciations des Ivoiriens «aux origines douteuses», des «étrangers», abondamment relayées par les journalistes et les médias, avaient en fait pour but la mise à l'écart de Ouattara, le principal rival des autres. Elles justifiaient le fait qu'il soit tenu à l'écart de toute fonction politique d'importance sous prétexte qu'étant originaire d'une ethnie à cheval sur le nord de la Côte-d'Ivoire et sur le Burkina Faso contigü, Ouattara ne serait pas un vrai Ivoirien. Ainsi les Konan Bédié, Gueï et Gbagbo défendent comme «national» un pays aux frontières artificielles issues du découpage administratif du colonialisme français!
Quant à la «victime» de cette manoeuvre, Ouattara, rappelons tout de même que ce n'est pas un nouveau venu, mais un ancien ministre d'Houphouët-Boigny, qui fut un temps l'un des dirigeants locaux du Fonds monétaire international, un politicien au passé plutôt chargé...
Mais au-delà de Ouattara, ces idées «d'ivoirité» ont répandu leur venin dans la société ivoirienne, dressant les prétendus «Ivoiriens de souche», ceux du sud (des ethnies bété comme Gbagbo ou baoulé comme Bédié), généralement catholiques ou animistes, contre ceux du nord (les Dioulas), musulmans.
Du coup, les rivalités politiques prennent de plus en plus une connotation ethnique. Et la répression contre les partisans de Ouattara prend des allures de pogrom contre les musulmans, les Dioulas et tous les Ivoiriens portant un nom à consonnance du nord.
Cette attitude du pouvoir, et de Gbagbo en particulier, contribue à entretenir le sentiment d'exclusion de la minorité nordiste et musulmane.
L'Afrique a déjà montré et montre encore aujourd'hui où une telle politique peut mener à la guerre civile sur des bases ethniques et à un chaos sanglant, dont les populations les plus pauvres font tragiquement les frais.
Quant aux autorités françaises (et sur ce sujet on n'a pas entendu de différence entre Chirac et Jospin) même si elles font un peu la fine bouche sur la manière dont se déroulent les élections, elles légitiment le président Gbagbo car elles tiennent à ce que l'ordre règne en Côte-d'Ivoire, où le capitalisme français à d'importants intérêts. Il n'y a pas si longtemps, à l'occasion de tel ou tel sommet franco-africain, les dirigeants français faisaient la leçon aux Africains, en leur demandant de respecter une façade démocratique, le multipartisme, et la «bonne gouvernance». On voit qu'aujourd'hui tout ce bavardage est remisé. Les dirigeants français soutiennent le dictateur du moment, et ils porteront une lourde part de responsabilité dans les déchirements et les conflits qui menacent les populations de Côte-d'Ivoire.