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- Lutte ouvrière n°1689
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Editorial
L'éditorial d'Arlette LAGUILLER : Gouverner c'est prévoir... dit-on !
L'arrêt de la commercialisation des farines animales pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage, aussi bien les bovins et les ovins que les porcs ou les poissons, qui, il y a quelques semaines, paraissait impossible, est devenu d'un seul coup possible. Encore qu'on peut se demander ce que l'on nous cache derrière l'expression "suspension temporaire" utilisée par Jospin. Mais la réaction de l'opinion publique et l'effondrement de la vente de la viande bovine ont contraint les autorités à prendre une mesure qu'elles n'ont pas voulu prendre il y a des années.
Pour justifier ses tergiversations, Jospin a déclaré : "Il n'y a aucune donnée scientifique qui permette de suspecter un risque pour la santé de consommer la viande et le lait d'origine bovine". Certes. Mais il y a toutes les raisons de suspecter les farines animales. Cela fait dix ans que l'utilisation en a été interdite pour les ruminants. Mais on a continué la production et l'importation des farines animales pour les autres animaux, avec les possibilités d'erreurs ou d'escroqueries que cela impliquait.
Le principe de précaution qu'invoque si volontiers le gouvernement aurait exigé que ces farines soient complètement interdites. D'autant que, si jusqu'à maintenant seuls les bovins ont développé la maladie dite de la "vache folle", quelle garantie a-t-on que les porcs ne vont pas ou ne sont pas en train de la développer à leur tour sous une forme transmissible à l'homme ?
Agissant aujourd'hui dans l'affolement, ceux qui nous dirigent invoquent les problèmes que posera l'arrêt de l'utilisation des farines animales. Comment les remplacer dans l'alimentation du bétail ? Comment éliminer les carcasses d'animaux morts ? Mais cela ne fait que trois ou quatre décennies que l'utilisation des farines animales s'est généralisée ! Elle s'est généralisée dans le cadre de cette agriculture productiviste dont la principale préoccupation consiste à faire produire un maximum de lait par un minimum de vaches. Mais, avant l'introduction du dopage des vaches, elles se nourrissaient bien ! L'herbe, la luzerne ou le colza ont tout de même précédé les farines animales !
Seulement voilà : pour pouvoir subventionner les gros agriculteurs capitalistes, et surtout l'industrie agroalimentaire, on a mis en place au niveau de la France comme de l'Europe un système compliqué de subventions qui a pour résultat de faire produire non pas ce qui est nécessaire et utile à la population et au bon équilibre des différentes composantes de la production agricole, mais ce qui rapporte du profit, via les subventions. Le blé est par exemple très largement subventionné, même si une partie de la production reste dans les silos de stockage.
Depuis dix ans que l'on connaît les dangers des farines animales, plusieurs gouvernements de droite et de gauche se sont succédé. S'ils avaient pris les mesures qui s'imposaient, il y aurait eu le temps de modifier les cultures, de restreindre les surfaces consacrées au blé au profit des plantes fourragères et de mettre au point des procédés d'incinération pour les carcasses. Mais aucun des gouvernements n'a voulu toucher au système de production industrielle, complété par d'énormes subventions, et surtout à ceux qui en profitent.
Et aujourd'hui, le gouvernement garde un silence suspect sur ce que deviendront les stocks de farines animales et même sur la question de savoir si on continuera à en produire, tout en en interdisant l'usage en France. Mais que va-t-on en faire ? Les exporter vers des pays pauvres ? Ou mettre en place un système où on continuera de produire des farines animales à partir des carcasses d'animaux pour les faire brûler, aussitôt fabriquées, dans des cimenteries ? Pour stupide et coûteux que cela soit, on continuera à verser des subventions aux uns pour transformer les carcasses en farines et aux cimenteries pour brûler les farines. Aux contribuables de payer au nom du coût d'une alimentation saine !
Gouverner, c'est prévoir, dit-on. Encore faudrait-il que les gouvernements soient plus soucieux de la santé et de la sécurité alimentaire de la population que des profits des capitalistes de l'agroalimentaire !