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Leur société
Aide juridictionnelle : Une justice à deux vitesses
L'aide juridictionnelle, qui permet aux plus pauvres d'être assistés d'un avocat en bénéficiant d'une gratuité, totale ou partielle suivant les cas, est sur la sellette. Les avocats se mobilisent pour obtenir une augmentation de l'indemnité qui leur est versée par l'Etat. La grève a commencé dans des tribunaux, à Bobigny et Lille notamment, qui voient passer un grand nombre d'affaires impliquant les milieux populaires. Alors que, globalement, le projet de budget de la Justice pour 2001 prévoit une augmentation de 3 % des crédits, aucun moyen supplémentaire n'est prévu pour l'aide juridictionnelle.
Les gouvernements successifs ont dû reconnaître que la Justice, prétendument égale pour tous, est en réalité inaccessible financièrement à une partie de la population. C'est pourquoi l'Etat prend en charge les frais d'avocats en totalité ou en partie. Plus de 700 000 personnes ont utilisé l'aide juridictionnelle l'année dernière. Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, s'est vantée que le nombre de bénéficiaires a doublé en moins de dix ans. Mais si cette progression signifie quelque chose, c'est que la pauvreté n'a nullement diminué, bien au contraire !
L'aide juridictionnelle ne représente que 5 % du budget de la Justice et, actuellement, il faut gagner moins de 4 965 francs par mois pour avoir droit à la gratuité, moins de 7 449 francs pour une aide partielle. Malgré une loi censée améliorer le système, les conditions se sont resserrées (en 1972, un revenu supérieur de 35 % au SMIC net donnait droit à cette aide).
Pour obtenir la reconnaissance de ce droit, cela prend parfois des mois et les avocats qui sont amenés à constituer les dossiers de demande d'aide juridictionnelle pour leurs clients se plaignent de formalités compliquées et d'une procédure de plus en plus tatillonne. On peut pourtant supposer qu'ils ont une certaine habitude des arcanes de l'administration judiciaire ! En 1999, 78 480 demandes d'aide juridictionnelle ont été ont été rejetées, pour une bonne part parce que les demandeurs étaient considérés comme gagnant des revenus trop importants. Mais d'autres raisons sont aussi invoquées : dans plus d'un cas sur quatre, la demande a été refusée pour... absence de pièce justificative.
Tout semble fait pour que l'obtention de cette aide, destinée aux plus pauvres, soit compliquée à obtenir. La tâche de leurs avocats est ardue et mal payée. Par exemple, au tribunal de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, deux cents avocats assument annuellement 22 000 missions d'assistance juridictionnelle qui ne rapportent que 10 % de la rémunération des cabinets pour 55% de l'activité du département.
En fait, seule une minorité d'avocats est volontaire pour défendre des personnes qui bénéficient de l'assistance juridictionnelle.Les indemnités qu'ils touchent sont faibles et souvent elles ne couvrent même pas leurs frais et leurs charges. Pour certaines tâches, aucune rémunération n'est prévue. Il en est ainsi de la médiation et de l'assistance au détenu devant la commission de discipline de la prison. Une loi de décembre 1998 a prévu de telles interventions, mais le gouvernement a jusqu'à présent "oublié" les décrets qui devaient fixer la rémunération des avocats. Il en est de même pour l'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, votée en juin dernier.
Bien entendu, tous les avocats n'ont pas les mêmes soucis. Nombre d'entre eux ont sélectionné plutôt la clientèle susceptible de leur procurer des honoraires confortables, voire un pont d'or. Quand Strauss-Kahn avait dû répondre devant la Justice de la rémunération qu'il avait obtenue, en tant qu'avocat, pour rapprocher la Générale des Eaux de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF), il avait demandé à une autorité reconnue, un ancien bâtonnier des avocats, de dire s'il avait respecté les usages. Et la réponse fut : les honoraires de Strauss-Kahn ont été modérés. Or Strauss-Kahn avait gagné 2 500 francs de l'heure. Une autre planète que celle de l'assistance juridictionnelle.
Evidemment, ces contrastes saisissants à l'intérieur même de la profession d'avocat ne font que refléter le fossé entre les milieux d'affaires d'un côté, les bas salaires et la population la plus démunie de l'autre. Les avocats qui subissent par contre-coup un peu du sort de ceux dont ils sont les défenseurs professionnels ont en tout cas raison de se défendre. En attendant que soit mis fin au système qui sécrète les inégalités sociales les plus extrêmes et dans lequel la Justice creuse davantage les inégalités qu'elle ne les réduit, un accès égal à la Justice devrait être un droit pour tous.