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Côte d'Ivoire : Le général Gueï renforce sa dictature
La tension monte en Côte d'Ivoire à l'approche de l'élection présidentielle qui doit avoir lieu le 22 octobre. Car, comme on pouvait s'y attendre, la Cour constitutionnelle, à la botte du général Gue., a invalidé la plupart des candidats à cette élection. Elle a surtout écarté le leader de l'opposition et principal adversaire de Gue., Alassane Ouattara, ancien premier ministre et chef du Rassemblement des Républicains (RDR). Du coup, l'élection de Gue., le chef de la junte militaire qui s'est hissée au pouvoir depuis le 24 décembre 1999 après avoir renversé le régime corrompu de Konan Bédié, ne devrait être qu'une sinistre parodie de démocratie.
Le chef de la junte n'avait d'ailleurs pas attendu que la Cour suprême rende son verdict pour renforcer le quadrillage du pays par des forces armées à sa dévotion. Craignant des réactions violentes de la part des partisans de Ouattara, il avait dès le 6 octobre décrété l'état d'urgence et renforcé les pouvoirs du ministère de l'Intérieur, lui permettant notamment d'interdire la libre circulation de certains opposants et la tenue de certaines réunions publiques.
Ce renforcement des aspects dictatoriaux du régime se dessinait depuis plusieurs semaines. Prenant prétexte d'un attentat visant sa résidence le 18 septembre dernier, Gue. avait déjà pris une série de mesures contre le clan Ouattara. Déclarant que " le temps de l'épée " était venu, il avait déclenché une vague d'épurations dans l'armée et l'administration contre tous ceux qu'il soupçonnait d'être plus ou moins proches du leader du RDR. Deux généraux, jusqu'alors numéro deux et trois de la junte et connus pour leurs sympathies vis-à-vis de Ouattara, avaient notamment été évincés du pouvoir. On dénombrerait également de nombreuses arrestations et plusieurs exécutions.
Jusqu'à présent, les grandes puissances ont peu réagi à ces événements, ou se bornent à les critiquer du bout des lèvres. La France, principal bailleur de fonds de la Côte d'Ivoire et ancienne puissance coloniale, a seulement estimé " dommageable pour l'expression de la démocratie " la mise à l'écart de " formations politiques majeures ". Par contre elle a dépêché des troupes d'élite pour renforcer sa présence militaire et défendre éventuellement ses intérêts, nombreux dans le pays. Quant au gouvernement américain, après avoir dénoncé les " abus d'autorité " de Gue., il a décidé de suspendre son aide à la préparation des élections.
Cela étant, la lutte pour le pouvoir qui oppose le clan de Gue. et celui de Ouattara fait peser des menaces encore plus graves sur le pays. Car pour préparer la disqualification de Ouattara dans la course à la présidence, Gue. et ses alliés n'ont pas hésité à reprendre la même démagogie nationaliste et xénophobe, les mêmes propos sur " l'ivoirité " que le régime précédent de Konan Bédié. C'est ainsi que les médias aux ordres se sont largement fait l'écho des origines prétendument douteuses de Ouattara, accusé d'être non pas ivoirien mais burkinabé car issu d'une ethnie du Nord, partagée entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso.
C'est d'ailleurs ce prétexte, ne pas être " ivoirien d'origine, né de parents eux-mêmes ivoiriens d'origine ", que la Cour suprême a mis en avant pour écarter la candidature de Ouattara. Quant aux militaires, ils ont commencé à faire régner la terreur dans les rues d'Abidjan, la capitale du pays, s'en prenant plus particulièrement aux personnes soupçonnées d'appartenir aux ethnies du Nord. Dans les quartiers musulmans et peuplés d'ethnies minoritaires, les forces armées se livrent à des perquisitions et des arrestations, des rafles de jeunes et des passages à tabac. Et ces exactions commencent à faire école au sein même de la population, comme en atteste la multiplication des incidents et des violences à caractère ethnique.
En reprenant les thèmes nationalistes et xénophobes, en attisant les rivalités ethniques pour asseoir leur dictature, c'est un redoutable poison que Gue. et ses complices sont en train de répandre dans le pays, alors que plus d'un tiers de ceux qui vivent en Côte d'Ivoire sont nés en dehors des frontières artificielles tracées par l'ancienne puissance coloniale et que le pays compte près d'une soixantaine d'ethnies. L'ethnisme pourrait d'autant plus facilement trouver un terreau propice qu'après une période de relatif développement économique, le pays s'est enfoncé dans une grave crise, liée notamment à l'effondrement des cours du cacao et du café, au poids de la dette et au pillage des caisses de l'Etat.
Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'explosion, mais on sait où cette politique peut mener : à un bain de sang, un génocide comme en font déjà les frais les populations de Sierra Leone, du Liberia et du Rwanda.