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Serbie : L'épreuve de force
On comprend que les puissances impérialistes de l'OTAN souhaitent une éviction de Milosevic en douceur. Les élections qu'il avait convoquées subitement leur ont fourni l'occasion d'un ravalement de façade " démocratique " bienvenu de leur point de vue, et les dirigeants occidentaux ont logiquement aidé et salué à son de trompe la victoire électorale du candidat de l'opposition, Kostunica.
Mais le bras de fer avec Milosevic, sa femme Mira Markovic et leur bande ne faisait que commencer. Et, plus d'une semaine après le scrutin, il dure toujours.
Milosevic, qui tient beaucoup aux apparences de légalité, a fait proclamer des résultats qui lui permettent de " jouer la montre " : selon eux, son rival Kostunica, tout en ayant réalisé un meilleur score que lui, sur la base d'une très forte participation au vote, n'aurait pas atteint les 50 % nécessaires pour l'emporter au premier tour. D'où un deuxième tour, fixé officiellement au 8 octobre.
Kostunica, à ce jour, n'a pas accepté de compromis sur ce point. Il a affirmé qu'il n'entrerait pas dans ce jeu, qu'il est bel et bien le président largement élu depuis le 24 septembre, et entend obtenir la reconnaissance de sa victoire. Il est vrai que, en 1996-1997, lorsque l'opposition avait remporté un succès dans un grand nombre de villes lors d'élections municipales et que Milosevic avait voulu annuler ce résultat, les leaders de l'opposition s'étaient alors montrés, au moins dans un premier temps, prêts à prendre la voie des marchandages avec le pouvoir - ce qui leur avait valu un certain discrédit dans la population, surtout que déjà les rivalités incessantes et publiques, notamment entre Vuk Draskovic et Zoran Dzindjic, n'étaient pas faites pour inspirer la confiance.
Ces rivalités de personnes n'ont certes pas disparu (par exemple, Vuk Draskovic s'est présenté à la présidentielle du 24 septembre séparément de la coalition ODS. Il a d'ailleurs obtenu un résultat très faible) ; mais, cette fois, la coalition d'opposition a regagné de la crédibilité en mettant en avant un candidat d'union, homme peu connu auparavant, disposant d'une réputation d'honnêteté et censé ne s'être jamais compromis avec le régime. C'est cependant un nationaliste, qui avait eu maille à partir avec le pouvoir au temps de Tito, en particulier parce qu'il avait critiqué la constitution de 1974 qui avait accordé au Kosovo un statut d'autonomie...
Et Kostunica, outre le fait qu'il n'est pas partisan de l'indépendance du Kosovo, peut d'autant moins être qualifié de " traître-à-la-Serbie-vendu-à-l'OTAN " par les propagandistes de Milosevic qu'il s'est montré systématiquement hostile à l'OTAN et aux Etats-Unis. Il dénonce le Tribunal pénal international de La Haye, auquel il ne livrerait pas Milosevic...
Pourtant, malgré sa position qui peut sembler forte et populaire, Kostunica se montre extrêmement prudent (ou peut-être irrésolu). Son appel à la " désobéissance " est soigneusement gradué : grève de 3 heures lundi 2 octobre, quelques heures de plus le lendemain, etc., avec grand rassemblement à Belgrade le 5. On ne sera plus alors qu'à trois jours du deuxième tour que Milosevic a convoqué.
Apparemment, pour le leader de l'opposition aussi, il est urgent d'attendre.
Peut-être ce délai est-il nécessaire pour mettre au point, dans les chancelleries occidentales et avec l'accord de la Russie de Poutine, un départ de Serbie accepté par Milosevic et sa famille ? Peut-être... mais tout le passé montre que Milosevic s'est toujours accroché au pouvoir avec acharnement, même quand celui-ci a semblé ébranlé.
Même si les manifestants lui répètent " Suicide-toi, Slobodan, et sauve la Serbie ", il dispose encore d'appuis, qui ne sortent pas des urnes. Certes, l'Eglise orthodoxe a pris ses distances, mais ce n'est pas la première fois et ce n'est pas décisif. Plus important, il y aurait des fissures dans les sommets de l'armée, qui cependant restent encore discrètes, et la toute-puissante police, quant à elle, n'est pas signalée comme quittant le navire, pas plus que la plupart des hauts cadres du parti et de l'Etat, malgré quelques cas de défections individuelles signalés par les médias.
Les Milosevic ont, selon la presse, été d'abord assommés par leur échec électoral, mais les jours qui passent les voient réapparaître en public, y compris à la télévision pour accuser l'opposition de " vouloir placer les Balkans sous le contrôle des puissances occidentales ". Ils profèrent des menaces de répression et reprennent leur propagande sur le thème de la Serbie menacée par le colonialisme mondial. Ils semblent préparer, plutôt qu'un départ, une contre-offensive à base de nouvelles manoeuvres. Comme, par exemple, chercher à affaiblir la coalition ODS en la divisant sur la tactique à suivre pour le second tour... afin de pouvoir par la suite - la fraude électorale aidant - se targuer finalement d'une apparence de victoire électorale.
Evidemment, un succès massif du mouvement de " désobéissance civile " et surtout de la grève générale peut venir enrayer tous ces calculs, et bousculer une opposition qui reste hésitante et bien respectueuse.
Selon le reporter du Figaro, des barrages spontanés réclamant le départ de Milosevic ont " commencé à apparaître un peu partout sur les routes de la Serbie profonde ". La mobilisation populaire est forte dans un certain nombre de localités de province, encouragée par le vent de fronde qui s'est levé dans une partie des médias du régime.
Comme, depuis le 24 septembre, un grand nombre de municipalités sont passées à l'opposition, on peut d'ailleurs se demander quelle sorte de deuxième tour électoral le régime pourra organiser le 8 octobre... Surtout, la grève a commencé dans la grande mine de charbon de Kolubara, à 60 km de Belgrade (7 500 travailleurs). La grève est totale, les mineurs - que le régime se faisait fort de compter parmi ses piliers - bloquent cette mine, qui fournit une grande partie du combustible des centrales thermiques du pays, avec le soutien de la population et malgré une forte présence policière.
Quoiqu'une bonne partie du secteur industriel en Serbie soit tellement détruite et délabrée qu'elle n'est plus en activité, c'est bien de ce seul côté-là, du côté des travailleurs et des masses populaires, que pourrait venir l'ébranlement décisif et la chute de la clique Milosevic.
Le malheur est que, une fois débarrassé d'elle, le régime dirigé par les Kostunica, Draskovic et autres ne sera pas forcément pour autant un " moindre mal " pour les masses populaires de Serbie, du Monténégro et du Kosovo.