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- Lutte ouvrière n°1680
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Lire : "Enfance, au féminin", de Taslima Nasreen (réédition en livre de poche)
Il faut profiter de la réédition par le Livre de Poche d'Enfance, au féminin de Taslima Nasreen pour découvrir un aspect de la réalité de son pays devenu le Bangladesh.
Ce récit autobiographique retrace les treize premières années de la vie de l'auteur, née en 1962. Attaquée par les fondamentalistes musulmans lors de la publication de son roman Lajja (La Honte), Taslima Nasreen dut s'expatrier pour échapper à la condamnation à mort qu'ils avaient prononcée à son encontre. écrit en exil, Enfance, au féminin dénonce lui aussi le fatras réactionnaire véhiculé par la religion, en l'occurrence musulmane, dont les premières victimes sont les femmes.
Taslima Nasreen n'était pas dans la pire des situations. Son père était un médecin issu d'un milieu pauvre, qui plaçait les études et les connaissances au-dessus de tout, que ce soit pour les garçons ou pour les filles, ce qui était assez exceptionnel mais ne l'empêchait pourtant pas de se comporter comme un tyran domestique, faisant régner l'angoisse et la peur sur toute la maisonnée, à commencer par sa femme.
Au travers d'une multitude de petites scènes évocatrices de son environnement familial, l'auteur laisse percevoir avec acuité la somme d'oppressions et de violences dont sont pétries les relations entre les hommes et les femmes systématiquement traitées comme des sous-êtres humains.
Cependant, et c'est ce qui rend ce livre particulièrement attachant, Taslima Nasreen décrit le chemin qui l'a conduite à refuser cette situation. Contrairement à ses amies d'enfance, elle a pu échapper au mariage forcé, ce qui lui a laissé le temps de s'instruire, de forger sa propre sensibilité et de choisir sa vie. Aux connaissances scientifiques, inculquées par son père qui y voyait un gage de réussite sociale, s'est adjoint le plaisir de lire en secret les romans et les poèmes qui lui plaisaient. Taslima Nasreen put ainsi forger ses armes contre les superstitions et son livre témoigne de son art de démonter, non sans humour, les préjugés religieux qui servent à cautionner l'oppression des femmes.
Du milieu familial se détache la figure d'un de ses oncles, qui ne cachait pas ses idées opposées à la religion et à l'exploitation de l'homme par l'homme. Pour la première fois, celle-ci entendait ainsi un adulte exprimer ce qu'elle ressentait confusément.
Le monde des pauvres, l'écrivain l'évoque à travers les servantes, soumises à un travail harassant et considérées comme des êtres inférieurs. Elle se souvient : " Pour peu qu'elles tombent malades, on leur en fait reproche, et, si elles meurent, on accuse leur manque de chance. Elles sont sales, et nous sommes propres. Elles sont au bas de l'échelle, et nous en haut. Elles appartiennent à la catégorie des gens de rien, et nous à celle des gens bien. " La maîtresse de maison pouvait renvoyer une domestique arbitrairement au bidonville et à la misère la plus noire : le père puiserait dès le lendemain une remplaçante parmi les innombrables pauvres en faisant une simple halte au retour de son travail.
Les courts passages du livre qui témoignent ainsi du sort des pauvres lèvent un coin du voile sur la férocité de l'oppression sociale à laquelle est lié le sort réservé aux femmes, y compris celles des milieux aisés.
Un récit écrit de façon simple, vivante et percutante.
Annie ROLIN
"Enfance, au féminin", de Taslima Nasreen, Edition Le Livre de Poche - 441 p. - 45 F.