Août 1920 : L'échec de l'armée rouge en Pologne18/08/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/08/une-1675.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Août 1920 : L'échec de l'armée rouge en Pologne

Le " miracle de la Vistule ", c'est ainsi que fut appelée par ses vainqueurs la bataille qui, le 15 août 1920, permit à l'armée polonaise de repousser les soldats de la Russie soviétique parvenus aux portes de Varsovie.

L'emploi de ce terme traduit les craintes du dirigeant polonais Pilsudski et de ses semblables devant la situation créée dans toute l'Europe de l'Est par la victoire de la révolution russe.L'espoir qu'elle avait suscité parmi les ouvriers, les paysans et les soldats du monde entier avait entraîné une vague de soulèvements et de grèves dans de nombreux pays.Elle s'était traduite en particulier en Europe Centrale par une victoire temporaire de la révolution en 1919 en Hongrie et, dans les autres États, par une agitation populaire croissante, comme en Pologne depuis la reconstitution de l'État polonais fin 1918.

Dans cette partie de l'Europe, la révolution russe et la défaite de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie à la fin de la guerre de 1914-1918, avaient en effet donné lieu à la naissance de nouveaux États. Ceux-ci correspondaient parfois, mais pas toujours exactement, à des aspirations nationales des populations auparavant opprimées par les grands Empires ; mais ils correspondaient surtout, et c'était là le but de leur création, à la volonté des impérialistes vainqueurs de la guerre de 1914-1918, de démanteler les États de leurs anciens adversaires et de créer des marches (sortes de zones-tampons) politico-militaires pour contenir l'expansion révolutionnaire et combattre la révolution russe.

L'État polonais s'était donc reconstitué fin 1918 après presque deux siècles de disparition, et il n'avait, dans ses premiers temps, qu'une existence bien faible. Différentes bandes nationalistes polonaises, qui avaient constitué en toute hâte chacune leur propre armée, issues des différents fronts parfois ennemis de la Première Guerre mondiale, se précipitaient sur ces territoires vides d'Etat et d'administration qu'étaient l'ancien morceau allemand de la Pologne, l'ancien morceau austro-hongrois, l'ancien morceau russe. Leurs rivalités et leurs affrontements faisaient et défaisaient, sans cesse et de façon chaotique, leurs alliances et les gouvernements polonais.

Il n'est donc pas surprenant qu'une partie de la population polonaise ait regardé avec plus d'espoir du côté de la révolution russe que du côté du jeune État polonais, sous la houlette de Pilsudski, socialiste mais hostile à la révolution. Et cela sans doute d'autant plus que pour le mouvement ouvrier, comme pour les militants eux-mêmes, tout leur passé récent était fait de liens humains et militants avec le mouvement ouvrier révolutionnaire russe comme avec le mouvement allemand.

La classe ouvrière polonaise participa à la montée révolutionnaire d'Europe centrale. De la fin 1918 à juin 1919, la Pologne se couvrit donc de Conseils ouvriers. Dans le bassin minier de la Dombrowa, en Silésie, une grande grève éclata en mars 1919, et une Garde rouge y fut créée, immédiatement combattue par les troupes de l'État polonais. Mais le jeune Parti Communiste polonais, né en décembre 1918, devait dans les Conseils partager son influence avec celle du PPS, le vieux Parti Socialiste gangrené par le nationalisme et dirigé par Pilsudski, qui faisait tout pour les éliminer. Le mouvement des Conseils s'affaiblit, et ceux-ci s'éteignirent au début de l'été 1919, avec cependant des mobilisations qui persistèrent, comme la grève des ouvriers agricoles lors de la récolte des pommes de terre à l'automne 1919.

Au printemps 1920, le mouvement se ranima. La reprise économique favorisait la réouverture des entreprises, et des luttes ouvrières éclataient partout, dirigées par les syndicats souvent animés par des militants communistes.

Ce ne sont cependant pas ces événements qui furent la cause de l'affrontement entre les soldats polonais et l'Armée rouge : depuis février 1919, Pilsudski avait lancé son armée dans une guerre contre le jeune état soviétique. Il agissait poussé par la France, dont la mission militaire en Pologne aidait directement son armée - c'est d'ailleurs en ces circonstances que de Gaulle débuta sa carrière d'officier supérieur. Mais il agissait aussi en proclamant son intention de recréer une " grande Pologne ", comprenant entre autres la Lituanie et la Biélorussie, et surtout parce qu'il n'avait aucune confiance dans les intentions des armées blanches russes de laisser, si elles gagnaient, une quelconque existence à la Pologne.

En avril 1920, Pilsudski s'emparait de Kiev, en Ukraine soviétique. L'Armée rouge décidait alors de briser les troupes blanches polonaises et, en quelques semaines, parvenait aux portes de Varsovie. Mais ce n'était qu'un succès momentané. Rassemblant toutes ses forces, l'armée polonaise empêchait les troupes soviétiques d'entrer à Varsovie, et les repoussait loin à l'est. Son succès était dû en partie à des erreurs militaires de l'Armée rouge, mais surtout au fait que, loin de provoquer un développement de la révolution en Pologne, ces événements avaient permis à Pilsudski de jouer sur les réflexes nationalistes.

Bien des années après, Trotsky écrivait sur ces faits dans Ma vie : " Les événements d'une guerre et ceux d'un mouvement révolutionnaire de masse ont différentes mesures. Là où les armées en action comptent par journées et semaines, le mouvement populaire se calcule d'ordinaire en mois et années. Si l'on ne tient pas compte exactement de cette différence des vitesses, les roues dentées de la guerre ne peuvent que casser les roues dentées de la révolution, et non pas les mettre en mouvement ".

La défaite était lourde de conséquences. Car elle n'était pas fatale que pour le mouvement ouvrier polonais, soumis à la terreur blanche. Elle était aussi lourde de conséquences pour l'avenir, dans la mesure où elle s'inscrivait dans la longue série d'évènements qui allaient priver l'URSS, et, avec elle, tout le mouvement ouvrier révolutionnaire, des possibilités qu'auraient ouverte l'extension de la révolution.

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