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- Lutte ouvrière n°1661
- Il y a 55 ans : Les massacres de l'impérialisme français - 8-13 mai 1945 à Sétifet Guelma (Algérie)
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Il y a 55 ans : Les massacres de l'impérialisme français - 8-13 mai 1945 à Sétifet Guelma (Algérie)
Le 8 mai 1945 était signée la capitulation de l'état-major allemand. Pour les peuples d'Europe, cette date marquait la fin de la Deuxième Guerre mondiale impérialiste. Mais pour l'un des peuples colonisés par l'impérialisme français, le peuple algérien, elle reste une des dates les plus tragiques de son histoire. En effet, entre le 8 et le 13 mai 1945, l'impérialisme français allait réprimer avec la plus grande violence des manifestations indépendantistes dans la région du Constantinois, notamment à Sétif et Guelma.
L'impérialisme français espérait écraser pour longtemps le mouvement indépendantiste. Moins de dix ans plus tard, il allait être confronté à un mouvement d'émancipation nationale explosif, qui avait germé sur les massacres de mai 1945.
Si le mouvement national algérien s'était déjà manifesté dans l'entre-deux-guerres, c'est au cours de la Deuxième Guerre mondiale qu'il devait grandir en Algérie. La cause première était l'affaiblissement de la puissance impériale : la France avait été vaincue en juin 1940. Et même si, en 1944, l'impérialisme français se retrouvait dans le camp des vainqueurs, le débarquement anglo-américain apparaissait aux yeux des Algériens comme une victoire américaine et donc une autre faiblesse.
L'affaiblissement des puissances coloniales
La France, seconde puissance coloniale mondiale avant-guerre, si prompte à briser toute forme d'expression des peuples colonisés, sortait donc affaiblie du conflit. Parmi les quelque 280 000 soldats originaires du Maghreb qui s'étaient engagés dans la guerre, on dénombrait 150 000 Algériens. Ils espéraient bien que le lourd tribut payé à la guerre serait payé en retour par l'indépendance. Nombreux étaient ceux qui s'attendaient à voir la conférence des Nations unies réunie en avril 1945 à San Francisco proclamer l'indépendance des colonies.
La Deuxième Guerre mondiale n'avait-elle pas été menée au nom de la grande croisade de la démocratie contre le fascisme ? N'avait-elle pas combattu la dictature nazie avec son cortège d'horreurs raciales ? Les gouvernements européens constitués à la fin de la guerre, comme par exemple en France l'alliance entre le Parti Socialiste, le Parti Communiste et le MRP, sous la houlette de De Gaulle, n'avaient-ils pas la bouche pleine des mots de liberté, de démocratie et de droit des peuples ? Pouvait-on continuer, dans ces conditions, à perpétuer la domination coloniale ? On allait voir que oui, de la même façon que les Alliés allaient prendre sous leurs ailes protectrices les dictatures en Espagne et au Portugal.
La déception fut grande. Le discours de De Gaulle prononcé en janvier 1944 à la conférence de Brazzaville avait alimenté des espoirs de libération des colonies, mais il déniait " la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies ". La seule concession était l'octroi de la citoyenneté dans le statut musulman ou berbère à 65 000 " français-musulmans ", une variante d'une réformette envisagée par le Front Populaire de Léon Blum et aussitôt abandonnée devant la pression des riches colons. L'immense majorité des 8 millions d'Algériens restaient donc privés de droits politiques.
Cela ne pouvait qu'exacerber la revendication pour l'indépendance, qui avait grandi durant la guerre. Ferhat Abbas, notable modéré représentant la bourgeoisie libérale, avait durci le ton et lancé, en février 1943, le Manifeste du Peuple Algérien, qui condamnait la colonisation, réclamait la reconnaissance du peuple algérien et de la nation algérienne, ainsi que la formation d'un Etat algérien " démocratique et libéral ".
En avril 1945 se constituait le nouveau parti de l'Association des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), qui exerçait une forte attraction sur l'ensemble du mouvement indépendantiste et comptait 500 000 membres en mai. On y retrouvait aussi les militants du Parti du Peuple Algérien (PPA) du dirigeant nationaliste Messali Hadj, dont le parti était interdit depuis 1939. Messali fut même déporté à Brazzaville par les autorités françaises, quelques jours avant le 8 mai.
Les massacres du Constantinois
A l'occasion de la célébration de l'armistice du 8 mai 1945, les manifestants algériens s'étaient donné pour consigne de sortir pour la première fois le drapeau algérien, vert et blanc. A Sétif, un policier tira, transformant la manifestation en émeute. 29 Européens furent tués, alimentant le désir de certains de s'armer et de réprimer eux-mêmes la population algérienne. L'armée française entra en action. Pendant huit jours, la répression fut sauvage et féroce. Les fusillades furent innombrables. Des villages entiers disparurent. On retrouva des fosses communes remplies de cadavres. Les milices européennes, épaulées par la marine et l'aviation, ravagèrent la région.
Au total, 88 civils européens et 14 militaires furent tués. L'armée minimisa les massacres du côté algérien en n'évoquant officiellement que 1 000 ou 1 500 victimes. En réalité il y en eut bien plus. Ferhat Abbas les estimait à 20 000 morts et le PPA à 40 000. Plus tard, le FLN parlera des " 45 000 martyrs ". La répression légale ne fut pas moins implacable. On dénombra 3 630 arrestations et jugements, 1 868 condamnations à des peines de prison et 157 condamnations à mort dont 33 furent exécutées.
Le Parti Socialiste comme le PCF, alors alliés dans le Gouvernement provisoire de De Gaulle, restèrent totalement solidaires de cette politique répressive. Ils la justifièrent même dans leur presse, les publications staliniennes allant jusqu'à dénoncer, côté Algériens, une provocation fasciste. Il est vrai que ces deux partis de gauche en étaient encore à prôner " l'Union française ", c'est-à-dire à justifier le maintien du colonialisme français.
De nouveaux combats se préparent
L'impérialisme français avait espéré extirper l'idée d'indépendance des esprits pour une période assez longue. Mais ces massacres creusèrent le fossé entre les deux communautés. Toute une jeune génération algérienne, marquée par les journées tragiques de mai 1945, tira la leçon de ces massacres : il n'y avait rien à attendre de bon de la puissance coloniale. Bien des sous-officiers et des soldats algériens qui avaient participé à la Deuxième Guerre dans le camp de l'impérialisme français allaient devenir les cadres de l'insurrection algérienne, tandis que bien des jeunes hantés par le souvenir des massacres de Sétif allaient fournir des troupes au mouvement national algérien d'où allait sortir le FLN.
Le 8 mai 1945, l'impérialisme français leur avait déclaré la guerre mais il avait aussi préparé sa future défaite. Il y eut des dizaines de milliers de morts à Sétif, Guelma et Bône, victimes de la barbarie impérialiste, mais ce furent des centaines de milliers d'hommes et de femmes qui allaient se dresser, moins de dix ans plus tard, contre l'armée française.
Malheureusement, ce n'est pas sous le drapeau de la classe ouvrière et au nom des idées communistes internationalistes que ce combat pour l'indépendance fut mené mais par des nationalistes radicaux, ce qui fixait d'emblée une limite à leur combat. Libéré de l'emprise directe du colonialisme, le peuple algérien ne serait libéré, ni de l'exploitation de la bourgeoisie algérienne elle-même, ni de celle de l'impérialisme ; il en paye encore le prix aujourd'hui.