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- Lutte ouvrière n°1658
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Serbie : Quelle perspective pour la population ?
La plupart du temps, les commentateurs invoquent les divisions, pour ne pas dire les haines, entre les leaders connus de l'opposition en Serbie pour expliquer leur impuissance manifeste face au pouvoir de Milosevic ; et il est vrai que les Draskovic et Djindjic les ont étalées publiquement lors de précédentes manifestations à Belgrade, en 1997 comme à l'automne dernier.
Ce sont des opportunistes éhontés, aux appétits de pouvoir sans fard, capables comme Vuk Draskovic de passer brutalement de l'opposition monarchiste à l'opposition dite démocratique, pour devenir ensuite membre du gouvernement Milosevic, puis repasser dans une opposition à éclipses...
De manière significative, le 14 avril, ces " opposants " se sont jugés tenus de s'engager publiquement, non seulement à mettre fin à leurs conflits personnels, mais aussi à refuser pour la suite toute alliance avec les partis de Milosevic, de sa femme Mira et de Vojislav Seselj... C'est dire le peu de confiance qu'ils peuvent inspirer.
Mais le fond de la question reste que, de toute façon, ils n'ont pas de programme à proposer qui soit différent de celui de Milosevic. Sur la question du nationalisme serbe, c'est évident. Draskovic a été un chantre célèbre de la " Grande Serbie ", il a eu sa milice lors de la guerre en Croatie ; Djindjic a été un supporter de Radovan Karadzic, le chef des Serbes ultras de Bosnie.
Sur ce terrain, ils n'ont pas abandonné leur démagogie. Lors du rassemblement de Belgrade, Draskovic déclamait contre " les traîtres qui ont vendu le Kosovo et cherchent maintenant à se débarrasser du Monténégro ". En fait, tous les dirigeants importants de l'opposition serbe partagent la position de Milosevic vis-à-vis du Kosovo. Ils tiennent à se montrer comme des patriotes qui veulent protéger les Serbes du Kosovo. Ce thème est un enjeu important à l'approche d'élections en Serbie, d'autant plus avec l'afflux de réfugiés serbes kosovars.
Mais, si une partie des masses populaires a de quoi en avoir assez des guerres et de ce type de surenchères, elle ne peut guère se retrouver dans ceux (comme c'est apparemment le cas de Zoran Djindjic) qui apparaissent comme indulgents envers les puissances impérialistes, à la recherche visible de leur soutien et de leur argent, alors que ce sont ces mêmes puissances impérialistes qui ont infligé les mois de bombardements de 1999, les destructions et le blocus. Dans ces conditions, l'accusation massue employée systématiquement par le régime d'être un " allié de l'OTAN " pèse évidemment très lourd.
D'autre part, la revendication d'une privatisation générale et rapide de l'économie, qui tient lieu de programme social à une partie des opposants, peut difficilement satisfaire les aspirations des travailleurs et des pauvres gens, qui voient tous les jours la corruption à laquelle a donné lieu l'appropriation privée de nombreux biens du pays par le clan au pouvoir et sa clientèle, adossés à une police omniprésente. Tandis que rien de concret ne leur est proposé pour soulager les problèmes du chômage et de la misère.
Aussi les limites du rassemblement du 14 avril, avec ses drapeaux serbes, ses huées contre le " dernier dictateur communiste ", les slogans des étudiants appelant à l'attaque contre " les bandits rouges ", sont-elles claires.
Milosevic peut sans doute s'accrocher encore au pouvoir pendant un temps - cela dépend aussi des calculs des dirigeants impérialistes. Mais la classe ouvrière est privée de direction politique, elle n'a pas de perspective propre. Et c'est peut-être en fin de compte à un général, tel que ce général Périsic, hier massacreur à Mostar, Zadar, Srebrenica, aujourd'hui " opposant " lui aussi et présent à la tribune du 14 avril, que les crapules politiciennes présentées comme une alternative à Milosevic ouvriront un boulevard.