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Dans le monde
Marchés boursiers : " correction " ou crise en gestation ?
" Ce n'était qu'une simple correction " - disent aujourd'hui, avec un soulagement évident, les commentateurs économiques, à propos des désordres boursiers de ces dernières semaines. Pourtant, une semaine auparavant bon nombre d'entre eux étaient bien moins farauds. S'ils parlaient de quelque chose, c'était souvent du spectre du krach boursier de 1987, voire de 1929. Mais entre-temps, il y a eu le 17 avril, jour où la dégringolade des cours boursiers s'est calmée sur les marchés américains et européens. Et il n'en a pas fallu plus pour regonfler l'optimisme des prétendus " experts ".
Il n'empêche que malgré leur belle assurance retrouvée, ces " Madame Soleil " de la finance sont bien incapables de dire si cette " correction " s'arrêtera là ou si au contraire elle reprendra de plus belle dans une semaine ou un mois, et avec quelles conséquences. Tout comme d'ailleurs ils ont été incapables de prévoir le déclenchement et l'ampleur de ce qu'ils considéraient hier comme une menace de krach et aujourd'hui comme une " simple correction ".
La vérité c'est que dans la sphère de la finance, comme dans l'économie capitaliste dans son ensemble, on ne peut rien prévoir. Tout au plus peut-on constater après coup l'étendue des dégâts causés par l'anarchie du système, anarchie dont les marchés boursiers donnent un bel exemple. Depuis la mi-mars, on n'en finit plus d'assister aux soubresauts boursiers de ce que les experts appellent la " Nouvelle Economie " - c'est-à-dire des sociétés liées d'une façon ou d'une autre à la téléphonie mobile, aux médias, à internet, aux logiciels informatiques, à la bio-technologie, etc.
Le NASDAQ, l'indice boursier américain qui reflète les fluctuations du cours de la plupart des actions de ce secteur, a ainsi chuté de 4 % le 30 mars, 7,6 % le 4 avril, 5,8 % le 10 avril et 9,7 % le 14 avril, le tout entrecoupé de remontées importantes mais bien moins spectaculaires. Quant au reste des valeurs boursières, elles ont aussi été affectées de violents soubresauts, même s'ils étaient de moindre amplitude.
Au total, entre le 10 mars et le 9 avril, le NASDAQ a ainsi perdu 13 %, puis 22 % dans la seule semaine du 10 au 16 avril, le ramenant du même coup à son niveau de novembre dernier. Au bilan, ce sont près de 13 000 milliards de francs qui se sont ainsi envolés en fumée au cours de ces cinq semaines, rien que dans la " Nouvelle Economie " américaine, soit l'équivalent de plus de huit fois le budget annuel d'un Etat comme la France, ou encore de la production nationale annuelle de l'Allemagne.
Il est vrai que cette somme colossale n'a jamais eu qu'une existence fictive, dans les mémoires des ordinateurs qui comptabilisent d'heure en heure les transactions boursières. Mais pour fictives qu'elles soient, la disparition de telles sommes n'en fait pas moins courir des risques au système financier tout entier. D'abord parce que lorsque les cours baissent, il y a toujours des spéculateurs qui y laissent plus de plumes que d'autres et qui du coup risquent de devoir vendre des actions pour couvrir leurs pertes - provoquant ainsi une nouvelle baisse des cours. Et puis parce que chaque soubresaut est susceptible de produire des opérations spéculatives visant à tirer profit de la baisse... en l'accélérant. Sans même parler du risque, toujours possible, d'une panique boursière. C'est d'ailleurs pourquoi la marge entre une " correction " et un krach boursier est extrêmement ténue, car rien ne garantit que l'une n'entraînera pas l'autre.
Et ces risques sont d'autant plus réels que ce secteur de la " Nouvelle Economie " est l'objet d'une spéculation boursière effrénée depuis des mois, spéculation qui touche d'ailleurs l'ensemble des marchés financiers. Le rapport publié par le Fonds Monétaire International lui-même tire la sonnette d'alarme en disant que " le fait que les valeurs boursières atteignent des niveaux très élevés dans le monde entier reflète une anticipation irréaliste sur l'augmentation future des profits " et les " experts " boursiers conseillent aux fonds d'investissements de réduire la part des actions de la " Nouvelle Economie " qu'ils détiennent. Et la nervosité des spéculateurs réagissant brutalement à la moindre rumeur pour se débarrasser des actions qu'ils détiennent comme si elles leur brûlaient les mains montre à quel point eux-mêmes n'ont qu'une confiance très limitée dans l'avenir de ces fameuses start-up sur lesquelles ils misent.
Mais en fait, ce qui nourrit la spéculation, aujourd'hui dans ce secteur comme hier dans d'autres, c'est la masse toujours plus grande de capitaux, provenant de profits non réinvestis dans la production, que les capitalistes ont accumulés au fil des ans aux dépens de la classe ouvrière, par l'aggravation de l'exploitation, du chômage et de la précarité pour des dizaines de millions de travailleurs. Et si l'augmentation de l'exploitation est, pour la bourgeoisie, l'expression de la bonne santé de son système, pour la classe ouvrière c'est la preuve qu'il faut le remplacer.