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Dans le monde
Sommet de Lisbonne : Incantation au dieu internet
Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Europe des Quinze se sont retrouvés à Lisbonne, le 23 mars, pour discuter entre autres de la croissance, du chômage et de l'exclusion. Ces plus hauts personnages des Etats d'Europe, qui se présentent comme quelques-uns des maîtres du monde, ont en fait joué à un de leurs jeux favoris : essayer de prévoir un avenir qui ne dépend en réalité pas d'eux.
Pour la croissance, pas de coup de génie dans la lecture de la boule de cristal : comme elle a tourné l'an passé autour de 3 % d'après les chiffres officiels, ce qui est loin d'être un record, ils prévoient qu'elle s'établira à 3 % dans les années à venir. C'est plus un souhait qu'une réalité. Et une réalité qui se traduit par l'enrichissement des plus riches, tandis que la population s'appauvrit. Cette réalité dépendra d'ailleurs de ce que décideront les propriétaires de capitaux.
En ce qui concerne l'exclusion, les instances européennes soulignent que la situation est grave. Pas besoin d'être devin, les chiffres sont parlants : 65 millions de personnes en Europe sont pauvres, soit 18 % de la population. Ces prévisions se limitent à faire baisser ce pourcentage à 15 % en 2005 et à 10 % en 2010. Quel programme ! Sans compter que la baisse du chômage ne signifie pas automatiquement la baisse de la pauvreté.
En revanche, les dirigeants européens sont entrés dans une sorte d'extase dès qu'ils ont évoqué le dieu Internet. Eux pourtant si prudents lorsqu'ils évoquent l'avenir de leur économie ont perdu tout sens de la mesure. Internet permettra d'atteindre le plein emploi en dix ans, affirment-ils. Ce qu'ils appellent la " nouvelle économie " est censé sauver l'Europe du chômage en créant... 20 millions d'emplois ! On croirait lire du Paco Rabanne.
Internet est un moyen de communication qui a peut-être quelques avantages, mais c'est un tout petit chaînon économique, qui n'est lié qu'indirectement à l'appareil productif. Quant à la demande très importante de titres liés à Internet sur les marchés boursiers, qui a amené certains titres à être évalués à dix fois, cent fois, voire mille fois le chiffre d'affaires des sociétés qui les émettent en Bourse, ce n'est pas une garantie pour l'avenir, mais une manifestation de la folie spéculative qui peut conduire à tout moment à un effondrement brutal. D'ailleurs, des sociétés représentatives de la " nouvelle économie " introduites récemment, c'est-à-dire sur le tard, en Bourse, ne bénéficient déjà plus de l'envolée qu'ont connue les premières arrivées.
Bref, à Lisbonne, les représentants officiels des gouvernements en ont rajouté dans les déclarations rassurantes mais fantaisistes puisqu'elles prévoient d'un côté le plein emploi et de l'autre... 10 % de pauvres !
Faisons leur confiance : des pauvres, ils sauront en fabriquer en quantité. Quant aux richesses, elles alimenteront la cagnotte des plus riches.