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Dans le monde
Iran : Les réformateurs ont gagné, mais la population ?
Les résultats du premier tour des élections législatives iraniennes ont abouti à un succès évident du parti dit des réformateurs, favorable au président Mohammed Khatami. Ils ont remporté dès le premier tour 132 sièges, contre 40 aux conservateurs, sur les 290 sièges que doit comporter le Parlement. Le deuxième tour doit avoir lieu au mois d'avril, mais il semble donc déjà acquis que les réformateurs auront la majorité dans la future assemblée.
Un désir de changement
Ainsi, les réformateurs remportent la plus grande partie des sièges dans nombre de villes, à Ispahan, Chiraz, Tabriz, mais aussi Meched, réputée conservatrice. Mais c'est le cas aussi en grande partie dans le reste du pays, même dans les campagnes qui passent pour plus conservatrices. Leur succès est lié sans nul doute à la très forte participation électorale, qui est le signe que les jeunes ont été massivement voter. Dans ce pays touché par le chômage, où 75 % de la population a moins de 25 ans et où le nombre d'étudiants a été multiplié par dix en 20 ans, les jeunes semblent à la fois les plus sensibles aux tares de la société, les plus désireux de changement, et de plus sont les moins marqués par les désillusions du passé, qu'il s'agisse de la réaction sociale qui a suivi l'avènement de la République islamique en 1979 ou de la terrible saignée qu'a été la guerre avec l'Irak entre 1980 et 1988.
Révélatrice a été aussi l'atmosphère qui a entouré le vote, montrant que les aspirations à toutes sortes de changements, politiques, culturels, sociaux, sont partagées par de multiples couches de la population : les jeunes, mais aussi nombre de femmes, particulièrement victimes du climat d'oppression du régime, et une grande partie du petit peuple des villes et des campagnes.
Les anecdotes rapportées par la presse en témoignent. Le journal Courrier International, qui cite la presse iranienne, relate ainsi les déboires d'un mollah obligé de se changer pour prendre des vêtements civils : aucun taxi ne s'arrêtait quand, habillé en religieux, il leur faisait signe. On a pu voir aussi, dans un reportage de la télévision française, un responsable de village montrer le délabrement des infrastructures, notamment l'égout à ciel ouvert passant au milieu de la rue principale, et disant que cela fait des années que les autorités ont été averties et ne font rien ; ou encore cet autre reportage montrant des jeunes se plaignant de ne pouvoir écouter que de la musique islamique...
Ce climat n'est pas sans rappeler celui qui, en 1997, avait régné lors de l'élection du président actuel, Khatami. La victoire de ce président réformateur a été suivie d'une victoire des mêmes réformateurs aux élections municipales de 1999. Cependant rien n'a changé en Iran. Il y a, pour expliquer cela, disent de nombreux commentateurs, les blocages institutionnels. Et ils rappellent comment, depuis l'élection du réformateur Khatami, les conservateurs sont sur le pied de guerre, multipliant les exactions comme les assassinats d'intellectuels, les arrestations de journalistes, de réformateurs et s'appuyant pour cela sur le " guide de la révolution " Ali Khamenei qui, lui, est conservateur. Or, dans la République islamique instituée par Khomeini, c'est bien à ce " guide de la révolution " qu'appartient l'essentiel du pouvoir.
Bien sûr, avec ces nouvelles élections, le " réformateur " Khatami aurait un nouvel atout en disposant de la majorité au Parlement ; mais d'autre part, Khamenei aurait toujours la possibilité, en tant que premier personnage du régime, ni éligible, ni destituable, de bloquer toute décision de l'assemblée...
Que veulent vraiment les " réformateurs " ?
Mais tout cela, ce serait en admettant que les " réformateurs " aient une réelle volonté de libéraliser le régime et de mettre fin au pouvoir exorbitant des ayatollahs. Or rien n'est moins sûr. Les événements de juillet dernier ont été révélateurs de ce point de vue. Après des semaines d'agitation étudiante, et même ouvrière dans certaines villes, quand les milices des " pasdaran ", les " gardiens de la révolution ", ont été envoyées pour briser cette agitation, le " réformateur " Khatami n'a rien dit ni rien fait pour s'y opposer. Et lorsque peu de temps auparavant, lors du 1er mai, des manifestations ouvrières avaient eu lieu, il avait déclaré qu'elles étaient nuisibles " à l'atmosphère calme et sereine, indispensable aux investissements ".
C'est que les dits réformateurs viennent souvent des mêmes milieux que les conservateurs, et ont parfois aussi fait d'étranges allers-retours entre ces deux partis. On cite l'exemple de l'ex-conservateur acharné Khoeinya, devenu dirigeant d'un journal réformateur : une partie du personnel politique de la République islamique sent sans doute le vent changer dans l'opinion. Elle se met à l'écoute des desiderata d'une bourgeoisie libérale qui souhaiterait plus de liens économiques et culturels avec l'Occident, qui a parfois déjà trouvé le moyen de soulever un peu pour elle-même la chape de plomb qui recouvre le pays, mais qu'un fossé social sépare de la population pauvre.
Voilà pourquoi celle-ci n'a sans doute pas grand-chose à attendre des réformateurs, sinon peut-être la libéralisation de certains aspects de la vie sociale. A l'énorme détresse qui est celle de l'écrasante majorité de la population iranienne, ceux-ci n'ont pas de réponses à apporter, sauf sans doute des phrases et des promesses. Combien de temps celles-ci peuvent-elles suffire à calmer l'impatience d'une population que les espoirs de libéralisation ne peuvent qu'inciter à mettre en avant ses revendications essentielles ? Il est permis de se le demander. Et malheureusement, il est à craindre que, face à ces revendications, on ne voie le régime à nouveau se raidir, comme en juillet dernier, les " conservateurs " reprenant du service pour exercer la répression avec en fait la complicité des " réformateurs ".
Mais pour la population pauvre, pour les jeunes, les femmes, ceux qui depuis des années ont supporté la misère matérielle et morale du régime iranien, lui avoir infligé un camouflet avec leurs bulletins de vote est certes réconfortant, mais n'est malheureusement pas un gage d'un réel changement.
Tôt ou tard, ceux qui veulent en finir avec l'oppression sociale, morale et politique en Iran n'auront d'autre choix que de s'en remettre à leurs propres forces plutôt qu'à ces politiciens prétendument réformateurs. L'oppression aux aspects moyenâgeux exercée par la République islamique n'a été qu'un nouveau masque pour la domination de la bourgeoisie capitaliste iranienne, alliée en fait de l'impérialisme malgré sa démagogie anti-occidentale. L'armée, l'appareil d'Etat, les organes essentiels de la dictature peuvent au gré des nécessités se proclamer islamiques, conservateurs ou réformateurs, voire s'occidentaliser, ils resteront des obstacles à toute évolution sociale. Pour les briser, il ne faudra pas moins qu'une mobilisation de toute la population iranienne, et en premier lieu de la classe ouvrière, en faisant tout pour qu'elle ne retombe pas, comme ce fut le cas lors des mouvements qui en 1978-1979 ont mené à l'instauration de la République islamique, sous la coupe de religieux réactionnaires, qu'ils se proclament ou non " réformateurs ".