La transparence ? Seuls les travailleurs peuvent la réaliser14/01/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/01/une-1644.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Editorial

La transparence ? Seuls les travailleurs peuvent la réaliser

La publication par l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) d'un rapport sur la gestion d'un organisme de retraite complémentaire, la CRI, a fait quelque bruit dans la grande presse. Mais ce qui a le plus scandalisé les commentateurs, ce n'est pas que l'un des responsables de cette caisse ait fait financer par celle-ci sa passion pour les chevaux de course. C'est que la CRI aurait assuré le salaire de quelques permanents appartenant à différentes confédérations syndicales de salariés. Et les journalistes se sont empressés d'interpeller Nicole Notat, pour la CFDT, et Bernard Thibaut, pour la CGT. Le syndicat patronal, le Medef, avait lui aussi bénéficié des mêmes largesses, mais personne n'a jugé bon d'aller importuner le baron Seillière à ce sujet.

Pourtant, les salaires de ces permanents syndicaux n'avaient rien d'extraordinaire et, s'il est évidemment discutable que les cotisations des salariés puissent être employées à leur insu dans ce but, les hauts salaires (bien moins modestes) et les notes de frais à rallonge des dirigeants de la CRI, l'achat et l'entretien de chevaux de course, payés sur ces mêmes cotisations, ont été beaucoup plus discrètement évoqués.

C'est que la CRI, comme la Cour des comptes, comme toutes les administrations chargées nous dit-on de faire la lumière sur la gestion financière de l'Etat ou de certaines institutions, n'est choquée que par ce qui choque les possédants, pas le commun des mortels. Et la grande presse commente leurs rapports avec les mêmes lunettes... dissimulant les réalités sociales.

La Cour des comptes vient par exemple de rendre public un rapport sur la " fonction publique de l'Etat ", ce que le journal Le Monde, daté du 11 janvier, a aussitôt présenté comme " la vérité sur l'argent des fonctionnaires ", mettant dans le même panier l'instituteur, le postier, l'employé de ministère et les hauts fonctionnaires dont les rémunérations n'ont rien de commun. Mais en outre, quand a-t-on vu la Cour des comptes s'interroger sur le bien-fondé des copieuses indemnités que perçoivent les députés et sénateurs, les maires des grandes villes, les présidents des Conseils régionaux et généraux, dont beaucoup cumulent plusieurs fonctions (et au moins en partie plusieurs indemnités) ? Car en dehors des élus du Parti Communiste (et bien sûr de ceux de Lutte Ouvrière) qui reversent une grande partie de leurs indemnités à leur parti, tous ces gens censés représenter le peuple vivent dans un autre monde que lui. Et les gens censés contrôler la gestion des institutions aussi.

Tous se disent pour la transparence. Mais la règle de cette société, c'est au contraire le secret élevé au niveau d'une institution. " Secret défense " pour cacher les agissements douteux de certains politiciens. " Secret bancaire " pour permettre aux possédants de dissimuler leur richesse et ses sources. " Secret commercial " et " secret industriel " pour empêcher le public de tout savoir sur ce qu'il achète, ce qu'il consomme. Il aura par exemple fallu attendre huit ans pour que des victimes de l'épidémie de listériose de 1992 sachent enfin quelle société avait fabriqué la charcuterie qui les avait contaminées. Et il aura fallu l'épidémie actuelle pour que les consommateurs apprennent incidemment que différentes productions " de pays ", commercialisées sous des noms différents, sortaient en fait des mêmes machines.

Alors, si les hommes politiques qui nous gouvernent et qui se disent pour la transparence étaient sincères, ils devraient commencer par abolir toutes les lois qui protègent ces différents secrets, toutes ces lois qui menacent de sanctions les travailleurs qui portent à la connaissance d'autres travailleurs, du public, ce qu'ils ont pu apprendre au cours de leur activité. Car il n'y a que comme cela que la transparence pourrait exister et que chacun pourrait réellement voir comment fonctionnent les institutions, l'économie, la société dans son ensemble.

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